L'évolution de la crise iranienne depuis le 12 juin (3)

L’Achoura
"Le triomphe du sang sur l'épée", "A bas l'humiliation", "Raviver le Vrai", "la victoire de l'opprimé" : autant de slogans qui rappellent aujourd’hui la bataille de Karbala, bataille de l’armée du calife omeyyade Yazîd Ier contre l'armée des partisans de l'imam Hossein, petit-fils de Mahomet, réduits à 72 hommes et enfants et massacrés au cours de la bataille. Les musulmans chiites d'Iran commémorent depuis quelques centaines d’années, l'Achoura (dixième jour du mois sacré de Moharram et date anniversaire de cette bataille) marquant la fin tragique de l'imam Hossein. Cette histoire qui constitue un des mythes fondateurs du chiisme, est celle de  la lutte des opprimés contre leurs oppresseurs. C’est l’histoire d’un « non » sacré au tyran. C’est l’histoire des hommes qui « choisissent librement la mort face à ceux qui sont condamnés à vivre ». Ce qui est en jeu à Karbala, c'est le droit à la révolte contre l’injustice. Quel paysan iranien, quel ouvrier, quel étudiant ou petit commerçant de Téhéran  resterait insensible à cette rhétorique (que ce soit sous le Shah ou  sous le guide suprême)?

Neyestani

Ce mythe a beaucoup inspiré les luttes politiques en Iran dans les années 1960-1970. C'est non seulement le cas de penseurs comme Ali Shariati qui ont développé l’idée d’une théologie de l'émancipation mais aussi celui d'un certain nombre de militants de gauche, comme Khosrow Golsorkhi, poète et militant communiste, exécuté en 1974 et qui avait comparé avec une certaine éloquence lors de son procès, la lutte de la gauche iranienne avec celle de l'imam Hossein.



Les cérémonies de l’Achoura ont toujours échauffé les cortèges de manifestants au cours des transitions politiques importantes comme en 1978, 1981 et 1997. Ces manifestations religieuses peuvent potentiellement changer de nature et revêtir une dimension proprement politique. Le 26 décembre 1978, 45 jours avant la chute du Shah, à l’occasion de l’Achoura, près de deux millions de personnes s'étaient rassemblées à Téhéran pour réclamer l'abdication du Shah.



31 ans plus tard, les rues de Téhéran et d’autres villes du pays notamment à Ispahan, Najafabad, Arak (centre), Shiraz (sud), Babol (nord), Machhad (nord-est) et Tabriz, se sont transformées en scènes de massacre. Cette année, près de 2 millions de manifestants à Téhéran ont rejoué une version très proche du Tazieh (théâtre traditionnel iranien commémorant le martyre de l'Imam Hossein), le principal leader de l'opposition  étant comparé à la figure martyre du chiisme : « Ya Hossein, Mir Hossein » scandaient les manifestants. Ceux-ci le soutenaient en criant « Nous somme la troupe de Hossein, nous soutenons Mir Hossein ». Ali Khamenei de son côté a été comparé à Yazîd : « Khamenei est devenu Yazîd, Yazîd paraît innocent devant lui  ». La plupart des slogans visaient Khamenei « Autant de troupes se sont rassemblées, elle se sont rassemblées contre le guide  ». De la même façon que les contestations après l’élection de juin ont remis en question la légitimité des bureaux de vote dans le cadre de la « République » islamique, cet événement a sérieusement endommagé la légitimité religieuse de la République « islamique ». Les manifestants remettent en question la nature religieuse du régime en scandant des slogans comme : « Le viol dans les prisons, est-ce aussi écrit dans le Coran ».


                                 Téhéran-27 décembre 2009

Au moins 37 manifestants ont été tués selon l’agence de presse IRNA et 300 personnes ont été arrêtées. Contrairement aux manifestations hebdomadaires depuis le mois de Juin, de violents affrontements ont tourné à l'émeute entre opposants au gouvernement et forces de l'ordre. Il y a eu des scènes surprenantes montrant les agents anti-émeute débordés par des manifestants en colère, immobilisés contre un mur, des visages en sang, des barricades, des voitures et des motos des forces de l’ordre renversées et enflammées, des jets de pierre incessants, etc. Au lendemain de l’Achoura des leaders de l’opposition et des figures intellectuelles du mouvement ont mis en garde les opposants  face au piège tendu par le régime -celui de la violence-, tout en condamnant fermement les forces de l’ordre. Mais certaines images montrent des manifestants essayant de calmer d'autres manifestant et déclarant à leurs agresseurs qu'il les pardonnent ( en témoignent les scènes où l'on peut voir des manifestant s'interposant entre leurs camarades manifestants et les forces de l'ordre mises en difficulté). Ainsi, malgré quelques épisodes de violence qui  ne sont que des réponses à la barbarie des forces de sécurité, le mouvement vert est loin d'avoir perdu son caractère pacifique.

              Téhéran - 27 décembre 2009 (Tehranlive.org)

                     Les Sabines, Jacques-Louis David

 A suivre...

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