Après le 22 bahman, quel chemin vers Azadi*?

Immédiatement après le discours d’Ahmadinejad, les médias officiels ont crié leur victoire. Ali Khamenei qui, quelques jours  auparavant  avait défié les puissance occidentales en parlant de "La nation iranienne qui  par son unité  va infliger un camouflet", à son tour a salué "les dizaines de millions" d'Iraniens qui ont assisté à la grande manifestation de soutien au régime à l'occasion du 31e anniversaire de la Révolution islamique. Le 11 février, le pouvoir aurait remporté deux batailles, celle de la communication et celle de l’intimidation : beaucoup ne sont pas descendus dans la rue malgré des appels de l'opposition, beaucoup de verts, sur la place Azadi, n’ont pas pu s’exprimer au milieu des mercenaires et des bassij.

                               Place Azadi - Le 11 février 2010
                                 
L'opposition avait pourtant multiplié les initiatives : Mir Hossein Mousavi, un des leaders du mouvement lors d’une interview le 2 février avec le site Kalameh a appelé les Iraniens à manifester à l'occasion du 22 Bahman  et a conseillé ses partisans de « réduire leurs signes de reconnaissance, qu'ils s'en servent pour se détacher du lot beaucoup ou plus discrètement ». Deux jours avant la manifestation, il a réitéré son appel et a demandé à ses partisans de se rendre à cette cérémonie en gardant « leur propre personnalité ». Le 10 février Mehdi Karoubi un autre leader de l’opposition a lui aussi appelé les gens à le suivre et a indiqué qu’il serait présent à dix heures place Sadeghieh, à un kilomètre d'Azadi.

La victoire psychologique du régime sur l’opposition a provoquée une vague de critiques qui visent majoritairement l’organisation et les tactiques pour la manifestation du 22 Bahman. C'est cependant la décision de manifester sur le lieu même du rassemblement gouvernemental qui est la plus controversée : l'opposition espérait conjurer la présence massive de forces de l'ordre et des foules stipendiées par la tactique du cheval de Troie.


Ce plan, proposé par Ebrahim Nabavi, un écrivain vivant à Bruxelles et soutenu par Ata'ollah Mohajerani ancien ministre de la culture et de l'orientation islamique sous Khatami, a été diffusée par le site réformiste « Jaras »: les opposants devaient participer à la manifestation de commémoration de la révolution sans signe distinctif pour, une fois atteint le centre de la place, sortir leurs signes verts et scander leurs propres slogans tous ensemble.

C'est l'inverse qui s'est produit : « Moi et beaucoup d’autres étions présents sur place [à la place Azadi], nous nous étions habillés comme d’habitude, mais nous ne portions pas de signes du mouvement vert – des habits ou des tissus verts. En fait nous n’avons eu aucune occasion de le faire. Dès que quelqu’un faisait le moindre geste de contestation par exemple lever la main et faire le signe « V », la police l’attaquait et le frappait gravement.  Leur but était d’empêcher les manifestants de former tout cortège » témoigne Nima Namdari, journaliste, dans une interview avec Deutsche Welle.
Les critiques disent que : compte tenu de l’organisation du régime qui avait commencé depuis 1 mois pour bourrer la place Azadi de ses partisans y compris les pasdaran, les basidjis, les fonctionnaires étant obligés ou payés, le renforcement de poste de contrôle  entre la place Enghelab et la place Azadi. Dès mercredi soir, l’idée de se rendre à la place d’Azadi était déjà voué à l’échec ; Ce plan était un plan prématuré sans détails pratiques ni alternative ; comme témoigne Fatemeh,T, une féministe de la "campagne pour un million de signatures":
 
" Nous avons voulu rejoindre un groupe de partisans de Moussavi. Mais il y avait un milicien presque tous les dix mètres dans les avenues du centre. Des haut-parleurs balançaient des slogans officiels pour couvrir tout. Nous sommes partis en courant quand ils ont voulu nous charger. On dit que vers la place Sadeghieh, au nord-ouest, il y avait déjà des affrontements avec des partisans de Karoubi. "

 
                     Place Sadeghieh - Le 11 février 2010
 
De plus il n’y a aucun lien organique entre les gens qui proposent des tactiques depuis l’étranger et les manifestants ; la tactique du « cheval de Troie» ne suivait aucun but clair et déclaré alors que la mise en œuvre d’une stratégie nécessite une étude des possibilités, une organisation, une communication, un plan B et avant tout un objectif clair. Pourquoi fallait-il se réunir place Azadi ? et après ?
 
Certains accusent aussi le mythe de la journée décisive. Ils critiquent certaines figures de l'opposition en exil, comme Mohsen Sazegara, journaliste résidant aux Etats-Unis d'avoir suscité des attentes irréalistes autour de cette journée. Mohsen Sazegara, avait parlé de jeudi dernier comme une journée qui allait changer l'équilibre des pouvoirs et ouvrir la voie à une action «finale» contre le gouvernement, dans les commentaires qui ont été largement diffusées sur l'Internet.
 
Le 11 février met en évidence un défaut majeur de l’opposition : la capacité limitée de Moussavi et Karoubi à communiquer et à organiser la contestation alors que beaucoup de personnalités de premier plan sont en prison. Certains mettent en doute l’existence d’une stratégie claire chez les leaders de l’opposition et chez les réformistes. Ils pensent qu'ils sont indécis et qu'ils ne savent plus comment combattre sans mettre en cause certains principes de la république islamique. Mousavi et Karoubi ont cependant déclaré lors de leur dernier rendez-vous (le 17 février) qu’ils allaient annoncer une nouvelle stratégie dans les jours suivants.
 
En outre, malgré  la propagande - l’agence officielle Fars qui a annoncé une participation de 5 million de personnes à la manifestation de Téhéran et 50 million dans tout le pays-, la journée du 11 février n’a pas vu le triomphe du pouvoir. Selon les images satellites prises de la place Azadi, jeudi matin, la foule n'a pas dépassé trois cent mille personnes et les rangées de bus dans les rues adjacentes (environ 2500) montrent l'effort considérable du pouvoir pour assurer le spectacle de sa popularité.

                   Place Azadi - Le 11 février 2010 (google earth)

Les images parvenues de l’Iran montrent deux univers différents : sur la place Azadi, les gens piqueniquent et jouent au foot, totalement indifférents au discours d'Ahmadinejad ; à Sadeghieh, des milliers de manifestants crient sous les matraques et les gaz lacrymogènes : « Nous ne serons pas sacrifiés pour un compromis,  ni pour gratifier le guide assassin » et pour cause : les agences de presse étrangères ont été invitées à ne pas quitter la tribune officielle qui leur était réservée, place Azadi, devant Ahmadinejad.
 
Que retiendra-t-on de la manifestation du 11 février dernier ? les masses rassemblées place Azadi? le dispositif de sécurité impressionnant ? le passage à tabac des Karoubi ? la manifestation alternative à Sadeghieh ? Avec le recul, on se rend compte que, contrairement à ce qu'avaient annoncé les uns et les autres : "journée décisive" pour l'opposition, "point final de la contestation" pour le pouvoir, l'histoire ne s'est pas répétée. Le mythe de la révolution de 1979 ne s'est révélé être qu'un rêve : ni le pouvoir, obligé de monter de toutes pièces son "triomphe", ni l'opposition, qui n'a pas réussi à mobiliser ses partisans, ne l'ont emporté jeudi dernier. Le régime reste profondément divisé. Quant à l'opposition, elle doit se reprendre et aller au-delà de manifestations vers des formes plus efficaces d'action pacifique.
 
* Azadi veut dire la liberté en persan. La tour Azadi, symbole de Téhéran, est située sur la place du même nom.

Pour Abdel, Halima, Bachir, et bien d’autres ; parce que ce qu’ils pensent m’importe beaucoup.

Pour Abdel, Halima, Bachir, et bien d’autres ; parce que ce qu’ils pensent m’importe beaucoup.
Je suis iranienne, et je vis en Iran.
Depuis quelques mois, j’essaie de consulter régulièrement la toile française pour lire ce qui s’y écrit sur les événements récents dans mon pays. Souvent, à la suite des articles, je trouve des commentaires, envoyés par des lecteurs avec des prénoms arabes, qui remettent en question, soit la réalité et l’ampleur de la contestation en Iran dans la version relayée par les médias occidentaux, soit l’indépendance et la nature populaire et démocratique de ce mouvement.
Cela me blesse profondément !
Avec nos amis arabophones et/ou musulmans, nous avons une histoire commune. Nous avons vécu ensemble des épisodes de prospérité et de gloire, ainsi que des périodes de souffrance et d’obscurité. Lorsqu’à cause de la folie de dirigeants arrogants et brutaux, des guerres ont éclaté entre nous, nos peuples ont su oublier les atrocités et rétablir des relations pacifiques et harmonieuses. Nous partageons souvent le même alphabet, et nos langues se sont grandement influencées. Une majorité d’entre nous ont la même foi en un Dieu miséricordieux, et ont su souvent montrer la même grande tolérance envers d’autres croyances.
Qui d’autre, que nos amis arabophones et/ou musulmans, peut mieux comprendre que nous tous, originaires et habitants de pays souffrant du totalitarisme, de la corruption, et de l’obscurantisme, nous valons mieux que cela ? Que nous n’aspirons qu’à la liberté, à la justice, à la prospérité, et avant tout cela, à la dignité, qui nous ont souvent été refusées, voire dont nous avons été dépouillés, soit par des puissances étrangères, soit par nos propres dirigeants, quand ce n’était pas par les deux réunis.
Moi aussi, je pense que les prises de position des états occidentaux sur ce qui se passe dans les pays du tiers-monde sont en grande partie motivées par des intérêts économiques et géopolitiques ; que le colonialisme et l’impérialisme sont encore et toujours présents dans les idéologies dominantes de ces États ; que l’argument du droit d’ingérence humanitaire a souvent été utilisé à des fins politiques et militaires ; qu’il y a toujours eu et qu’il y a encore de nombreux régimes totalitaires et autres dictatures du Sud soutenus par les démocraties du Nord ; que face aux conflits régionaux ces démocraties arbitrent parfois injustement et en fonction de leurs propres intérêts ; et que la démocratie dont l’Occident se dit le garant est loin d’être parfaite. Mais n’est-ce pas aussi le cas que bon nombre de citoyens de ce même Occident pensent la même chose ?
Tout cela, ne justifie pas certaines de vos réactions que je trouve, sinon hostiles, pour le moins étonnamment froides. Vous qui suivez de si près l’actualité iranienne, au point de juger les articles des journalistes de la presse française, vous avez tous vu et entendu l’espoir, la conviction, et l’allégresse des Iraniens qui réclamaient le changement lors de la récente campagne présidentielle. Vous avez tous vu et entendu leur stupéfaction après l’annonce des résultats des élections dont ni la forme ni le contenu ne pouvaient signifier autre chose qu’une sinistre farce. Vous avez tous vu et entendu le raz de marée humain qui est descendu dans les villes iraniennes. Vous avez tous vu et entendu avec quelle sérénité ils ont manifesté leur indignation. Vous avez tous vu et entendu comment des mercenaires brutaux en civil, épaulés par des forces soi-disant de l’ordre, ont commis les pires violences sous les yeux effrayés des citoyens qui croyaient voir un cauchemar. Vous avez tous vu et entendu des témoignages de victimes d’emprisonnement arbitraire, de torture, et de viol, ainsi que les appels à l’aide de leurs familles. Vous avez tous vu et entendu ces spectacles télévisés sordides au cours desquels les regards terrifiés des hommes et des femmes en disaient beaucoup plus long que leurs confessions absurdes.
Dois-je vous le rappeler ? C’est avec la planète entière que vous avez vu l’agonie et la mort d’une jeune femme qui n’avait comme tort que d’être là où il ne fallait pas être à ce moment précis.
Me diriez-vous que je ne répète que la propagande des médias et des organisations humanitaires occidentaux ? Je vous demande alors comment cela se fait que vous trouvez ces mêmes médias et organisations humanitaires crédibles lorsqu’ils rapportent les crimes commis par des occupants et des oppresseurs en Palestine, en Iraq, en Afghanistan, en Tchétchénie, et au Xinjiang ? Je vous demande alors comment cela se fait que vous criiez au scandale lorsque les journalistes se voient interdits de travailler dans ces régions, mais que vous soyez restés silencieux lorsque, une semaine après les élections, le gouvernement iranien a simplement expulsé les journalistes étrangers de l’Iran ?
Le débat sur la partialité des médias est certes légitime. J’y participerai avec vous volontiers le jour où les dizaines de journalistes iraniens emprisonnés seront enfin libres d’exercer leur travail. Mais pour le moment, je dois l’avouer, je n’ai pas cet engagement qui vous permet de critiquer les journalistes à des milliers de kilomètres de Téhéran.
Mes chers amis, je ne vous en veux pas. Je me console en pensant que vous subissez vous-même de grandes injustices, et que cela vous fait perdre votre générosité et votre solidarité. Le malheur rend cynique.
Que vous me croyiez ou pas, je vous donne quand même la nouvelle. Le peuple iranien s’est soulevé contre ses dirigeants. Il veut prendre son destin en main. Ce n’est pas la première fois, ce ne sera pas la dernière fois non plus. Ca fait au moins un siècle qu’il manifeste la volonté de retrouver sa dignité. Je ne sais pas quand ce mouvement atteindra son but. Mais, j’en suis sûre, ce jour là, vous serez les premiers avec qui le peuple iranien voudra partager son bonheur.
La lettre écrite par une professeur à Téhéran

Qui est Abdollah Shahbazi ?

Une interview 12 heures avant son arrestation.

Abodollah  Shahbazi est le fils d'un de chef de clan Qashqai qui a été défait par l'armée du Shah alors qu'il s'opposait à la réforme agraire. Ancien membre du parti communiste iranien (Toudeh), il s'est repenti et a été retourné après sa "purification" en prison en 1982. A peine libéré, il prend la tête d'un institut de recherche en histoire lié au ministère de l'information (VEVAK). Il a été nommé par Fallahian, alors ministre de l'information et principal responsable des meurtres en série des années 1990. Shahbazi est considéré comme un des dirigeants du quotidien ultraconservateur Keyhan avec Hossein Shariatmadari. Depuis l'hiver dernier, il accuse de corruption l'Imam du vendredi de Shiraz, ses fils et l'ancien chef des pasdaran de la région de Fars, en publiant des articles et des CD.

Douze heures avant son arrestation, il répondait aux questions de Nooshabeh Amiri.

N.A:Commençons par le dernier communiqué de Moussavi, celui qui a suivi l'Ashoura [communiqué n°17], qu'en pensez-vous?

C'est un communiqué marqué  par l'humanisme. Moussavi n'est pas un personnage ambitieux ou opportuniste. Cette affirmation s'appuie sur un sentiment, face aux effusions de sang et de violence qui ont pris une ampleur inédite par rapport à ces trente dernières années.

N.A:Certains font entendre que Moussavi reconnaît le gouvernement d'Ahmadinejad par cette déclaration, quel est votre avis ?

Je ne partage pas cet avis. Premièrement, le gouvernement d'Ahmadinejad est un fait qui existe, les gouvernements étrangers le reconnaissent également. Par ailleurs, Mir Hossein n'accepte pas la légitimité de ce gouvernement, pourtant il formule ses demandes auprès de lui en sachant qu'aucun d'entre eux ne sera soulevé ni discuté. Moussavi est réaliste, il sait très bien que ses demandes minimum n'auront pas de réponse de la part du pouvoir en place.

N.A:Cela dit, il propose le minimum des revendications populaires ?

Oui, car c'est déjà  un maximum pour le pouvoir : la liberté de la presse, d'expression et de conscience ont déjà provoqué l'hostilité des partisans d'Ahmadinejad. Selon le représentant du Guide dans les universités, 75% des étudiants sont en désaccord avec la politique d'Ahmadinejad ; donc si l'on considère qu'il y a 4 millions d'étudiants au total, on en conclut que 3 millions sont opposés au gouvernement. A mon avis, c'est le meilleur argument pour écouter ce que crie la jeunesse.
Naturellement le régime n'est pas face à 5000 ou 50000 opposants, mais plus de 2 millions de personnes. Donc s'il accepte le droit de 2 millions de personnes, cela veut dire qu'il acceptera les droits de la majorité, ce qui est à mon avis peu probable. En effet, si ce minimum est accepté, ce sera la porte ouverte pour d'autres revendications. D'après moi le pouvoir n'acceptera pas ces propositions car on entend déjà le signal d'alarme de la part de groupes pro-ahmadinejad, comme la démission [annulée] de Hosseinian qui a accusé Rafsanjani d'être le principal responsable de la crise.

N.A:C'est naturel d'entendre cette phrase de la part des ultra-conservateurs qui se nourrissent de leurs provocations. Mais ce qui est inattendu, ce sont les déclarations du Guide, non ?

En Iran, aujourd'hui, ce sont les groupes extrémistes qui ont en main la gestion du pays. Ils survivent par les crises et les tensions intérieures, mais en réalité, ce sont eux qui sont la cause principale de la crise. Ils l'accentuent par leur fabrication de la terreur et leur répression sanglante, puis ils accusent leurs adversaires d'être à la cause de cette crise. Au final, ils essaient d'éliminer tous ceux qui s'opposent à eux pour soi-disant résoudre les problèmes du pays. Ils sont même favorables à une guerre civile ou à une guerre imposée de l'exterieur. J'ai l'impression que les hauts dirigeants de la République islamique ont très mal géré la situation. A mon avis, comme je l'ai déjà écrit, il faut confier la gestion de cette crise à quelqu'un comme l'ayatollah  Rafsanjani, ce dernier s'en est bien sorti pendant les années de la guerre contre l'Irak.

N.A:Il me semble que parmi les différentes factions qui entourent le Guide suprême, il y a un parti fondamentaliste qui domine au moins depuis les dernières élections. Désormais, selon vous, quelle position prendra le Guide?

Ce n'est pas du tout prévisible, mais ce qui est sûr, c'est le changement de position de l'ayatollah Khamenei depuis la révolte estudiantine de1999.

N.A:A votre avis pourquoi l'ayatollah Khamenei ne prend pas la même position? Est-ce une question de vouloir ou de pouvoir ? Cette crise est-elle une impasse pour les différentes factions du régime ?

A mon avis c'est une question de vouloir. Cela dit le Guide peut, surtout après ce dernier communique de Moussavi, mettre fin à cette crise et tout naturellement empêcher toutes les violences qui peuvent se produire après. Autrement dit, le pays entrera dans une situation sans précédent.

N.A:Donc, pourquoi son mot d'ordre est-il toujours en faveur des ultra-conservateurs et des extrémistes du régime?

Je ne connais pas la réponse, mais je peux vous dire que j'ai déjà proposé au Guide, dans une lettre ouverte que j'ai écrite avant les élections, d'être plus pertinent par rapport à ce qui se passe dans son entourage, surtout au niveau des échanges d'information. La seule différence entre le Guide et Moussavi tient aux programmes économiques, sinon, je ne vois pas de problème structurel entre les deux personnalités. A mon avis tout cela est dû à son entourage.

L'évolution de la crise iranienne depuis le 12 juin (4 - dernière partie)

La politique de la peur/ La « peur de la peur »
«Je remercie le chef du pouvoir judiciaire d’avoir exécuté deux émeutiers et je lui demande d’en exécuter d’autres s’ils ne mettent pas fin à leurs protestations. […] Nous avons montré de la faiblesse depuis l’Achoura [la grande célébration du deuil chiite, qui avait été l’occasion d’importantes manifestations, ndlr]. Maintenant, il n’y a plus d’espace pour la tolérance.» a déclaré Ahmad Jannati à la prière du vendredi du 29 janvier à Téhéran. Le secrétaire du Conseil des Gardiens de la Constitution [la plus haute autorité législative du régime] faisait allusion à la pendaison de Mohammad Reza Ali Zammani et Aresh Rahmanipour,  accusés d’être «mohareb» (ennemis de Dieu) deux jours plus tôt.



 « Les autorités auraient également prévu d'exécuter prochainement par pendaison neuf nouvelles personnes impliquées dans les protestations du jour de l’Achoura, si leur condamnation à la peine de mort est confirmée en appel », selon l'agence semi-officielle iranienne Fars, qui cite le procureur de Téhéran. Depuis le 12 juin plus de 4000 manifestants et opposants, selon les chiffres officiels, ont été arrêtés pendant et après les grandes manifestations antigouvernementales. Celles-ci ont fait 109 morts selon l'opposition. Est-ce là la « tolérance » dont parle Ahmad Jannati ? 
 
Depuis 31 ans, le pouvoir iranien a bien suivi le conseil qui dit : « Maintenir les hommes dans la peur, c’est les maintenir sous un grand pouvoir ». Les autorités islamiques, depuis qu'elles ont accaparé le pouvoir, ont réussi à créer un climat de peur : exécutions massives d'opposants dans les années 1980, guerre prolongée contre l'Irak (1980-1988), emprisonnement et assassinat d'intellectuels, agitation continuelle de la menace d'une attaque étrangère… Avec la contestation de l'élection du 12 juin, le recours à la violence et à la répression a atteint un niveau jamais atteint depuis la fin de la décade révolutionnaire (1979-1989). La violence excessive est devenue, selon Hossein Bashiriyeh, la dernière raison d'être d'un régime qui a perdu toute légitimité – tant populaire que religieuse.

Pourtant, on peut s'interroger sur l'efficacité de cette politique. En effet, l'évolution des événements montre que cette peur, plutôt que de soumettre les gens et de rendre indifférente la population, a créé une sorte d’unité et de solidarité au sein de la société. Cela se reflète dans les slogans des manifestants ; « N’ayons pas peur, n’ayons pas peur, nous sommes tous ensemble »  crient les manifestants lorsqu’ils sont attaqué par les forces de l’ordre. Cette solidarité a aussi donné naissance  aux nouvelles associations telles que « Les mères en deuil » qui contestent le terrorisme d'Etat. L’usage excessif de la peur a également révélé la vraie nature du gouvernement. Moins un signe de force que de faiblesse, la violence d'Etat encourage l'opposition.

En mois de juillet, après la fermeture de la prison de Kahrizak le "Guantanamo" iranien, Mehdi Karoubi a donné des preuves des viols dans les prisons, provoquant un gigantesque scandale. Quelques jours plus tard, une vidéo largement diffusée sur Youtube, montre le témoignage d’une ancienne prisonnière politique exilée qui raconte comment elle avait été violée par son interrogateur il y a 30 ans. Quelques jours après, la vidéo d'Ebrahim Sharifi confirmait les accusations de Karoubi, dont il était un des témoins. Il avait enregistré cette vidéo par son téléphone portable avant qu’il s’échappe du pays. D'autres témoignages sont ensuite apparus.

 

Le fait que les tortures sexuelles sont systématiquement exercées par les autorités d’un régime qui se prétend le champion des valeurs religieuses, montre à quel point ces témoignages sont révélateurs. Sachant l’enjeu culturel et social en Iran, on comprend l’importance du témoignage de ces victimes. Ils brisent à la fois un tabou en racontant ce qu’ils ont subi et défient le pouvoir en montrant leur courage.


Depuis le mois d’août des procès spectacles sont organisés au tribunal révolutionnaire de Téhéran. La médiatisation et le déroulement de ces procès montrent l'inquiétante tendance du pouvoir à la dérive paranoïaque. Parmi les accusés apparaissent les figures importantes des réformateurs, des journalistes, des étrangers travaillant en Iran, des membres des ambassades des pays occidentaux, des intellectuels, des étudiants, des manifestants arrêtés de façon arbitraire. Ces procès visent à  discréditer les opposants au sein de la population et à affirmer le contrôle de l'Etat sur la société. Les accusations sont absurdes : « participation à un complot occidental », « planification d’une révolution de velours »,  « ennemi de Dieu », « casseur »... Les accusés, sans aucune garantie de droit à la défense, peuvent être jugés pour le simple fait d'avoir envoyé des photos ou des vidéos des manifestations par e-mail. Tous ces accusés encourent la prison ou la peine de mort. Les médias à la solde du gouvernement diffusent les aveux de certains prisonniers, pris sous la torture.

Cependant,  la population estime que ces méthodes et ces aveux forcés sont monnaie courante dans le cadre de la République Islamique qui les met en œuvre depuis trente et un ans. Elle ne prête aucun crédit à ces aveux forcés. L'ayatollah Montazeri, ainsi que beaucoup de personnalités politiques comme l’ancien président, Mohammad Khatami, ont dénoncé ces procès. Ils ont tous affirmé que ce qui s'est passé lors de ces  procès est contraire à la Constitution, à la loi et aux droits des citoyens. Ils ont déclaré que les aveux obtenus dans ces conditions n’avaient aucune valeur. Ces procès ont été suivis par un soutien massif des cyber-journalistes et  des artistes aux détenus. La compagne virtuelle « j’avoue aussi »  et la musique vidéo Eteraaf (Confession)  sont des exemples  de cette solidarité. Ce genre de mise en scène est contraire aux intérêts du régime et porte atteinte à la confiance de l’opinion publique, comme l'écrivait Edmund Burke : « Pour rendre une chose terrible, l’obscurité semble généralement nécessaire. Lorsque nous connaissons toute l’étendue d’un danger, lorsque nous pouvons y habituer nos yeux, une grande part de l’appréhension s’évanouit. »


                                          "J'avoue aussi"

Dans l'Iran d’aujourd’hui tout est devenu politique, les couleurs, les signes, les billets et avant tout le corps humain. Les opposants n’ont pas d'autre arme que leurs pieds et les autorités ne voient aucune solution sinon celle de s'en prendre directement à la vie. Les exécutions, en particulier politiques, se sont multipliées depuis les élections.


Les autorités ont lancé cette nouvelle phase le 11 novembre dernier avec l'exécution d'Ehsan Fattahian, un activiste Kurde, accusé à la lutte armée contre le régime, qui n’appartenait pas au mouvement vert, en espérant de diviser l’opposition. Mais cette exécution a sensibilisé la société sur la peine de mort. Les opposants, soit ceux qui veulent rester dans le cadre de la constitution de la république islamique, soit ceux qui mettent en question la totalité du régime sont devenus solidaires. Des milliers de photos de profil sur Facebook  ont repris le portrait d'Ehsan Fattahian : « Nous somme tous Ehsan ». Cette campagne a repris pour les deux autres opposants exécutés : Mohammad Reza Ali Zamani et Arash Rahmanipour.
        
« Depuis hier soir, ils attaquent les maisons. Ils ont arrêté quelques amis dont je ne veux pas dire leur nom pour l’instant. C’est clair qu’ils le font  pour nous faire peur. Le réseau internet est fortement perturbé et nous n’avons pas d’accès aux certains sites. Téhéran est sous une ambiance fortement policière. Il est bien probable qu’ils arrêtent plusieurs personnes parmi nous, avant le 22 Bahman [le 11 février, l’anniversaire de la révolution de 1979]. Je vous prie d’être vigilants plus que jamais. Beaucoup entre nous, ont désactivé leur compte sur Facebook et Balatarin ». Désormais, nous comptons plus sur nos amis à l’étranger. Informez par tous vos moyens. Il faut à tout prix briser l’atmosphère de peur que l’Etat essaie de créer.» nous a écrit un jeune iranien le 8 février. Depuis les manifestations d’Achoura, le régime a testé diverses tactiques pour calmer la situation. D’un côté il multiplie les arrestations, il intimide les leaders de l'opposition (avec des tirs contre la voiture de Mehdi Karoubi), il organise des manifestations officielles. Parallèlement, ils ont permis à certaines personnalités  de critiquer Ahmadinejad dans des débats télévisés, ils ont cherché à créer un compromis entre les leaders d’opposition et l’Etat, vite dénoncé. Ces dernières semaines, à l'approche de l'anniversaire de la révolution, qui peut se muer en une grande manifestation de l'opposition, la répression de l’Etat s’est durcie.

Que signifie le passage à la "tolérance zéro" dont parle Ahmad Jannati ? Est-ce que les menaces empêcheront les iraniens de descendre dans les rues, y aura-t-il un bain du sang  à Téhéran le 11 février ? L’hypothèse d’un Tiananmen iranien ne semble pas très probable. Selon la lettre ouverte adressée aux journalistes étrangers par des journalistes iraniens en exil l’Etat a prévu un autre scénario: « D'après les informations précises reçues d'Iran, le gouvernement illégitime d'Ahmadinejad veut faire croire qu'il a derrière lui la majorité de la population. D'une part, il veut essayer d'empêcher les opposants de se rassembler place Azadi, là où Ahmadinejad va tenir son discours, et d'autre part essayer de bourrer cette place de partisans "officiels" ».


Les liens économiques et diplomatiques du gouvernement avec certains pays étrangers d’une part et le soutien du clergé officiel pourraient disparaître après un massacre comme celui de 1989 en Chine. Pourtant, plus les manifestants de l’opposition sont nombreux, moins la répression sera efficace. Malgré la répression inédite de ces derniers jours, les leaders d’opposition Mousavi et Karoubi ont appelé leurs partisans à participer à l’anniversaire de la révolution. Un groupe des prisonniers politiques a envoyé un message de la prison au peuple en l’appelant à participer. A côté les cyber-journalistes ont déjà lancé plusieurs appels pour du type : « Je viens d’être libéré de la prison, il y a 2 heures, je descendrai quand-même dans la rue le 22 Bahman (le 11 février) » écrit le bloggeur Kaveh Ahangar. Il semble que certains jeunes iraniens ont peur plus du silence que de la mort. Prenant en compte le bagage que s’est préparé le mouvement iranien  dans sa lutte contre la politique de la peur, une participation massive des opposants n’est pas inimaginable. Cela pourrait éventuellement  changer les rapports de forces en faveur des opposants. Le 22 Bahman est sans doute un des jours les plus importants du mouvement, changera-t-il le cours de l'histoire ?

La lettre ouverte des journalistes iraniens en exil adressée aux journalistes étrangers invités pour l'anniversaire de la révolution iranienne, le 11 février

Chers collègues,
Journalistes et photographes invités à couvrir les événements du jour de la révolution iranienne le 11 février, le 22 bahman.

Nous sommes un groupe de journalistes iraniens exilés. Aujourd'hui, 45 de nos collègues sont emprisonnés et torturés.

Notre seule faute, notre seul péché, à nous, les journalistes expulsés et emprisonnés, c'est de suivre la Déclaration universelle des droits de l'homme, de se battre pour la liberté d'information et de pensée. Depuis les "élections" du 12 juin, le gouvernement du coup d'État a réprimé sévèrement la presse libre et il cherche par tous les moyens d'étouffer le mouvement pacifique du peuple iranien.

D'après les informations précises reçues d'Iran, le gouvernement illégitime d'Ahmadinejad veut faire croire qu'il a derrière lui la majorité de la population. D'une part, il veut essayer d'empêcher les opposants de se rassembler place Azadi, là où Ahmadinejad va tenir son discours, et d'autre part essayer de bourrer cette place de partisans "officiels".

Cher collègues,
Inviter des journalistes étrangers pour couvrir l'anniversaire officiel de la Révolution islamique est un piège. Ce gouvernement qui a déjà arrêté, accusé et emprisonné les journalistes des médias étrangers tente aujourd'hui d'exhiber sa popularité au monde entier pour cacher la contestation.

Chers collègues,
Vous allez en Iran, non seulement en tant que représentants des médias du monde libre, mais aussi à la place de vos collègues iraniens expulsé ou emprisonnés. Ceci vous rend la tâche plus difficile car vous serez accueillis par un interlocuteur qui hait la liberté de la presse et qui bafoue les droits de l'homme.

Vous allez mettre les pieds dans les rues ou les meilleurs enfants de ce pays sont martyrisés. Nous avons tous vus le film du meurtre de Neda ; cette jeune fille est le symbole de tous les hommes et les femmes qui ont été torturés, assassinés et violés.

Chers collègues,
Nous vous fournissons la liste des journalistes emprisonnés selon le rapport de RSF. Essayez de les trouver et posez à leurs gardiens cette question simple : "Pourquoi sont-ils en prison ?"

Chers collègues,
Vous qui partez en Iran aussi à notre place, voilà quelques conseils pour ne pas tomber dans le piège de ce gouvernement illégitime :

- la manifestation du peuple qui crie "Allah-o Akbar" commence à la veille du 11 février sur les toits des immeubles, cette voix protestataire est un début, c'est le signe d'une présence massive le lendemain.

- le parcours officiel part de la place Imam Hossein pour aller place Azadi, mais les forces de l'ordre essaieront par tous les moyens d'empêcher les opposants verts de manifester. Par conséquent, les opposants du mouvement vert ne seront pas seulement sur le trajet officiel ; ils seront dans tout Téhéran.

Chers collègues,
Le régime du coup d'Etat va essayer de contrôler tous les trajets et les chemins pour que vous ne puissiez filmer et photographier que des bassijis et les partisans d'Ahmadinejad. Mais derrière les barrières, vous entendez plus clairement que jamais la voix du peuple iranien, celle de la liberté.

Chers collègues,
Nous ne doutons pas que vous rejetez les mains rouges de sang du gouvernement pour celle d'un peuple réprimé. Cette fois, votre voyage en Iran est historique. Nous vous accompagnerons dans votre voyage, avec le cœur qui bat pour la liberté. Nous vous attendons avec un seul souhait, celui de voir sur tous les journaux du 12 février ce titre : "la victoire d'un peuple".

Chers collègues,
Ne tombez pas dans le piège du régime : filmez et photographiez tout, montrez les vrais gens avec leurs vraies demandes. Soyez ceux qui montrent le combat pour la liberté d'un peuple qui souffre. C'est la demande de tous vos collègues iraniens, exilés ou persécutés.

Les signataires:
Nazi Azima, Samnak Aghai, Houshang Asadi, Nooshabeh Amiri, Asieh Amini, Farahmand Alipour, Shabnam Azar, Fariba Amini, Maryam Aghvami, Nima Amini, Massoud Behnoud, Arash Bahmani, Maziar Bahari, Babak Dad , Farzaneh Bazrpour, Hadi Ebrahimi, Pouyan Fakhrai, Farshid Faryabi, Fereshteh Ghazi, Maryam Ghavami, Saghi Ghahraman, Massoud Ghoraishi, Arash Ghafouri, Manouchehr Honarmand, Linda Hosseininejad, Vahid Jahanzadeh, Nikahang Kowsar, Malihe Mohamadi, Javad Montazeri, Roozbeh Mirebrahimi, Mehdi Mohseni, Searajedin Mirdamadi, Hanif Mazroui, Ebrahim Nabavi, Javad Moghimi, Alireza Noorizadeh, Nahid Pilvar, Shahram Rafizadeh, Bahram Rafizadeh, Saman Rasoolpoor, KhosrowRaesi, Ferydon Shaibani, Mohamad Sefriyan, Beniamin Sadr, Vida Same, Mohamad Tajdolati,Hamed Yousefi.

Pour plus d'information:

L'appel de Mousavi avant 22 bahman

Le 11 février prochain (22 bahman dans le calendrier persan) aura lieu le trente et unième anniversaire de la victoire de la révolution islamique sur le régime du Shah, et comme chaque année, une grande manifestation populaire est prévue pour commémorer cet événement. Habituellement, l'avenue Azadi est abandonnée à la population : on s'y promène en famille ou entre amis, on y mange, on assiste aux petits spectacles donnés dans les stands officiels pendant qu'on entend, diffusé par les hauts parleurs, les discours nationalistes des plus hautes figures du régime.


Place Azadi, le 15 juin 2009

Depuis les élections du 12 juin, ce type de manifestation où le pouvoir exhibe sa bienveillance et son soutien populaire n'est plus possible : le 17 septembre (jour de la Palestine), le 4 novembre (anniversaire de la prise de l'ambassade des Etats-Unis), les 26 et 27 décembre (fêtes chiites de Tasua et Achoura) ont tous été marqués par une contestation sans précédent. Ebranlé dans sa légitimité, le pouvoir a réprimé systématiquement et violemment les manifestations alternatives largement plus importantes que les cortèges officiels. Cependant, malgré la violence de la répression d'Achoura (un des épisodes les plus sanglants de l'histoire post révolutionnaire de l'Iran), le pouvoir n'est toujours pas assuré, il craint la journée du 11 février. Le régime fait tout pour entretenir une ambiance de terreur : il multiplie les arrestations, exécute arbitrairement deux jeunes et, par la voix de clercs réactionnaires ou de brigadiers sinistres menace de mort les opposants.
Le 2 février, sur le site Kalemeh (proche des réformateurs), Mir Hossein Mousavi a répété son opposition avec le gouvernement en appelant à manifester le 22 bahman, un peu plus d'un mois après son communiqué n°17, qui avait déjà fait couler beaucoup d'encre.


Dans cette interview, Mousavi accuse la révolution d'avoir renoué avec le despotisme du Shah : "Dans les premières années de la révolution, le peuple était convaincu d'avoir détruit toutes les structures à travers lesquelles le despotisme et la dictature pouvaient s'imposer. Je faisais partie de ceux qui y croyaient, mais maintenant, non. (…) je ne pense pas que la révolution islamique a réalisé ses objectifs." Il décrit la situation actuelle de l'Iran dans des termes plus durs qu'auparavant en disant que "la dictature au nom de la religion est la pire de toutes". Il affirme ensuite avoir perdu toute confiance dans les institutions : "nous avons perdu tout espoir dans l'institution judiciaire. (…) Aujourd'hui les cellules sont occupées par les enfants les plus sincères et les plus attachés à la révolution : étudiants, professeurs, et autres. Ils essayent de les condamner pour espionnage ou pour des crimes financiers ou sexuels – charges qui sont basées sur des formules périmées – alors que les vrais criminels et les voleurs qui siphonnent l'argent public sont libres." Parallèlement, il dénonce la confiscation des pouvoirs du parlement par le gouvernement.


Mousavi combat les mensonges économiques d'Ahmadinejad : "Je ne pense pas qu'il faut choisir entre la justice et la liberté" (…) Aujourd'hui, ceux qui sont responsables de la misère du peuple et de l'arriération de la nation sont ceux qui sont responsables de l'inflation, du chômage et du déclin économique du pays. Ils amènent le pays à la limite de la ruine. (…)
Dans tous les cas, les classes défavorisées de la société qui sont attachées aux valeurs islamiques ont potentiellement les mêmes revendications que le mouvement vert."


Ensuite, il inscrit les revendications populaires dans le cadre de la constitution de 1979 qui a besoin avant tout d'être respectée : "Nous devons tous être vigilants. Violer les droits du peuple tels qu'ils sont donnés dans la constitution et dénier aux citoyens le droit d'être maîtres de leur propre destin mène au détournement de la constitution, cet héritage national sans prix." Mais, bien qu'il craigne une modification de la constitution, il n'en écarte pas la possibilité : "J'ai déjà dit que la constitution n'est pas quelque chose qui ne peut pas être changé. Cela a été fait en 1988 et cela peut être répété".


Enfin, Mir Hossein Mousavi appelle les Iraniens à manifester à l'occasion du 22 bahman, et en appelle à l'humanité commune qui unit les forces de sécurité et le peuple : "Les rassemblements et les manifestations pacifiques font partie des droits du peuple. (…) Mon conseil aux bassidj et aux forces de sécurité est d'être calmes et gentils. Mon conseil aux partisans du mouvement vert est de réduire leurs signes de reconnaissance, qu'ils s'en servent pour se détacher du lot beaucoup ou plus discrètement. Ce mouvement a grandi au sein du peuple et il lui appartient. Tous doivent garder à l'esprit leurs croyances, leurs valeurs et leurs traditions, mais nous ne devons pas oublier notre objectif final : un Iran développé, indépendant, libre et uni."


On peut tirer de cet interview trois enseignements majeurs :


D'abord, contrairement à ce qui avait été dit, Mousavi ne s'est pas incliné devant l'intransigeance du pouvoir actuel, incapable de négocier et enfermé dans une posture autoritaire et paranoïaque. Au contraire : il dénonce, avec plus de force encore que dans ses communiqués précédents la dérive dictatoriale du régime, la trahison des institutions et la montée de l'oppression. Pour autant, il n'abandonne pas la posture réformiste et s'inscrit au coeur de l'idéologie originelle de la république islamique. La dénonciation de l'oppression se fait au nom de la constitution, celle-là même qui défend le droit du peuple à manifester pacifiquement. Surtout, il reprend, au nom du mouvement vert, la question de la justice sociale, accaparée jusqu'à présent par Ahmadinejad. En liant la lutte pour la justice sociale avec celle pour la liberté, il donne au mouvement vert une ampleur nouvelle et inédite. Ce ne doit plus être qu'un mouvement des classes moyennes et éduquées, mais un rassemblement du peuple entier.

Pendant ce temps, Ahmadinejad essaye de reprendre la main avec un nouveau revirement dans les négociations nucléaires.

Il reste une semaine avant le 11 février.

Le dernier Communiqué de Mousavi : un pas en arrière, deux pas en avant

Le 12 juin 2009, le soir de l’élection présidentielle, à 23h:30 pile, Mir Hossein Mousavi, annonce sa victoire au cours d’une conférence de presse. C’est sa première déclaration officielle. Moins de deux heures après, sa victoire est rejetée. Aujourd’hui, le nombre de ses déclarations et communiqués s’élève à 17. Son dernier communiqué, tant attendu après les événements de l’Achoura, a aussi une toute autre dimension.

         Mir Hossein Mousavi

C’est plus qu’un simple communiqué : C’est la manifeste de ce « mouvement vert », dit un étudiant iranien militant du « mouvement vert » à Toronto. Les massacres et violences gouvernementales d’une part, l’évolution et la radicalisation des slogans et actions des protestataires d’autre part, ne laissent planer aucun doute : « le mouvement a atteint un point de non-retour à ce jour ». Ce sont les propos d’un bloggeur basé à Téhéran. Et il rajoute : « le pouvoir a perdu sa dernière arme, « la répression » pourtant « le massacre » et le désarroi avaient atteint leur comble ce jour-là (au premier degré).

Toutefois, les commentaires de tous bords ne visent pas seulement, cette fois, la « barbarie » du régime. Certains ont aussi condamné la « violence imposée » par une minorité des contestataires qui pousserait « un mouvement de nature pacifique à se radicaliser ». On comprend alors l’impatience avec laquelle était attendue le communiqué d’une des figures du réformisme, Mir Hossein Mousavi.

Ce contexte ne facilite pas la tâche de l’ancien premier Ministre de la République islamique qui a d’ailleurs perdu son neveu le jour de l’Achoura. Dans ce fameux communiqué, il condamne fortement la répression du régime, il prend partie pour les manifestants. Il se dit prêt à aller "jusqu'au martyre" pour faire entendre la cause du mouvement populaire. Il n’entend pas être un leader, mais un " accompagnateur " : " C'est vous qui m'avez donné la force, je ne fais que vous suivre." Pour arrêter le cycle contestation-répression qui entraîne une radicalisation dangereuse de part et d'autre, il propose le 1er janvier un plan de sortie de crise. Il lance une feuille de route pour « sauver un régime [qui] si les dirigeants ne changent pas leur politique va [s’effondrer] », mais aussi répondre aux attentes d’un peuple qui a perdu plusieurs « frères et sœurs » depuis le 12 juin 2009. Sa feuille de route se décline en cinq points :

- reconnaître la responsabilité du gouvernement par rapport aux événements postélectoraux auprès des grands instances du régime notamment celui de la justice;

- restaurer la loi constitutionnelle pour instaurer des élections libre et transparentes avec notamment le droit d’être candidat pour tous les citoyens iraniens dans un climat de confiance et de concurrence libre ;

- soutenir la création des médias […] indépendants et libres en restaurant leur dignité et leur honneur ;

- suspendre les restrictions qui touchent Internet ;

- et enfin reconnaitre les droits légitimes du peuple à manifester pour obtenir  ses droits.

Selon lui « d’autres suggestions pour les dispositions ci-dessus [pourraient] être ajoutées, en sachant qu’il n’est pas nécessaire de mettre en place et commencer avec toutes les vertèbres en même temps ».

Une fois le communiqué disponible sur le Net, les commentaires, réactions et critiques atteignent leur comble.D’un coté, les fondamentalistes du régime feignent de s’interroger sur l’attitude « inadmissible » de Mousavi qui « avec ce communiqué, a dépassé toutes les lignes rouges ». Ils souhaitent qu’il comparaisse devant la justice. Le lendemain de la publication de ce communiqué, les réactions ont été un tir de barrage contre Mousavi, orchestré, parfois au mot près, par les imams de la prière du vendredi. L’ayatollah Jannati, à Téhéran, accuse Mousavi d’être " un agent à la solde des Américains et des Israéliens ", alors que Mousavi dans son communiqué insiste sur le fait que « [il y a] au sein du mouvement, une identité islamique et nationale [qu’ils est] opposé à toute domination étrangère ". M. Jannati a également réclamé que les " émeutiers détenus soient maintenus en prison, car ils poursuivront leurs actions diaboliques aussitôt libérés ». Un autre religieux influent, Ahmad Khatami, fait reposer toute la responsabilité de cette crise sur le mouvement vert : " Vous parlez de crise dans le pays, mais il n'y en a pas ! C’est vous qui la créez ! ". La réaction le plus cinglante revient au conseiller d’Ahmadinejad, Ali Djavanfekr qui rejette en bloc toute piste de sortie de crise : « aucune solution, aucune discussion, aucune négociation » car selon lui, il y a en face des « agents étrangers ».

De l’autre côté, parmi ceux qui prennent fait et cause pour le mouvement populaire, militants, activistes, politiciens, membres des partis politiques réformateurs ou journalistes ne restent pas indifférents à ce communiqué. Trois grands partis réformateurs, Mosharekat, Mojahedin Enghelab Eslami et Majme Roohanioon ont soutenu fermement les axes abordés par l’ancien premier Ministre de Khomeiny. Toutefois ces commentaires n’ont pas eu les mêmes conséquences pour les opposants au gouvernement.

Certains estiment que Mousavi a formulé dans son communiqué des revendications a minima. Mais ce communiqué prend également la forme d’un ultimatum adressé au régime. Une seconde interprétation voit dans ce communiqué une stratégie qui a mis la balle dans le camp adverse et que les compromis ainsi envisageables ne sont pas « forcement un signe de faiblesse » de la part d’un politicien. Enfin, une troisième interprétation y voit un recul, voire « un signe de faiblesse » face au pouvoir en place et finalement les tenants de cette interprétation laissent entendre que Mousavi reconnaît le gouvernement d’Ahmadinejad. Selon certains comme Abdollah Shahbazi, ancien communiste rallié au régime dans les années 1980 : « Le gouvernement d’ Ahmadinejad est un fait qui existe, les gouvernements étrangers le reconnaissent également. Par ailleurs, Mir Hossein Mousavi n'accepte pas la légitimité de ce gouvernement, pourtant il formule ses demandes auprès de lui en sachant qu'aucune d'entre elles ne sera soulevée ni discutée. Mousavi est réaliste, il sait très bien que ses demandes minimales ne seront pas prises en compte par le pouvoir en place. »

Les solutions que propose Mousavi ont incité un certain nombre d’opposants à formuler leurs propres propositions pour sortir de la crise. C’est notamment le cas de cinq intellectuels religieux, Abdol Karim Soroush, Mohsen Kadivar, Ata'ollah Mohajerani, Akbar Ganji et Abodl Ali Bazargan (les membres d'un "gouvernement en exil" d'après certains) qui ont été les premiers à formuler leur point de vue. En suivant les mêmes points abordés par Mousavi mais en en les précisant et les clarifiant, ils ont essayé « d’améliorer le contenu » d’un texte rédigé selon Akbar Ganji « dans un climat de terreur, de censure…, alors que de leur côté, ces personnalités (résidant aux Etats-Unis), ne subissent pas la même pression et tension ». Dans un premier article ils demandent « la démission de M. Mahmoud Ahmadinejad » et en troisième ligne « à reconnaître le droit aux activités légales des partis politiques, des mouvements des femmes, des ONG et des organisations de la société civile, des syndicats indépendants et des salariés ». Ils avertissent le pouvoir en place qui selon eux ne dit pas rejeter les exigences « légitimes d’un peuple ». Le « Guide suprême et absolu » (Velayat motlagheh faghih) doit reconnaître sa part importante de responsabilité dans cette crise.

24 heures après la parution de cette lettre, un collectif de « 50 universitaires laïcs » iraniens ont de leur côté publié une lettre de soutien au communiqué de Mousavi qui selon eux, peut « unifier les Iraniens de tous bords autour de revendications communes » et « renforcera l’homogénéité et la cohérence » du peuple contre « ce régime totalitaire ». D’après ces « universitaires laïcs », le communiqué de Mousavi pose les bases d’une « plateforme politique a minima qui se construit par des revendications historiques d’une nation ».

Parmi les communiqués publiés à la suite de celui de Mousavi, il faut noter surtout celui du « mouvement des femmes » qui fait partie des rares déclarations qui non seulement ne s’enthousiasment pas du communiqué de Mousavi mais qui par ailleurs se sont fermement opposés à tous les communiqués publiés pour soutenir celui de l’ancien candidat aux élections.

Shadi Sadr, avocate, activiste et signataire de cette lettre reproche aux « autres communiqués [d’ignorer] les droits fondamentaux et structurels des femmes ». Ce communiqué a provoqué une polémique importante du fait de son contenu supposé « surréaliste et radical ». Selon ces militantes féministes, de tous les communiqués publiés depuis le début de la crise par Mousavi et Karoubi ou par leurs proches, aucun n’évoque les « droits fondamentaux des femmes », « opprimées par trente ans de République islamique ». D’après ces militantes plutôt que de discuter de « la légitimité du régime », il s’agit maintenant de s’occuper des problèmes fondamentaux et structurels liés aux « principes démocratiques de tous les citoyens ». Elles précisent qu’au cours des deux dernières semaines précédant les élections présidentielle, les deux candidats réformateurs ont beaucoup parlé des droits fondamentaux des femmes, mais depuis, la question n’a plus jamais été évoquée. Les auteurs de ce communiqué ont formulé leur revendications en 5 points, comme Mousavi dont :

- l'annulation de toutes les lois discriminatoires contre les femmes ;

- la séparation de la religion et du gouvernement ;

- le jugement de tous les dirigeants du régime ayant ont commis des crimes devant les juridictions internationales.

Mais ce communiqué a lui-même provoqué une polémique importante chez certains partisans du mouvement vert. Il a été jugé radical, surréaliste, prématuré par rapport à la situation. D’autres partisans y ont vu au contraire une bonne stratégie pour rassembler toutes les revendications populaires depuis la révolution et estiment que le mouvement démocratique est au contraire assez mûr pour élargir ses revendications par rapport au seul droit de vote qui l’avait déclenché en juin dernier.

                      Shadi Sadr


Des revendications a minima de Mousavi aux revendications " maximalistes " formulées par les militantes féministes, on voit bien que le communiqué de Mousavi a ouvert un débat où s’expriment toutes les voix opposées au régime en place. Réformateurs pragmatiques, réformateurs radicaux, gauche radicale en exil : tous proposent leur propre feuille de route. Mais que ces positions soient limitées à celles de Mousavi ou qu’elles soient plus larges et plus radicales, elles sont toutes aussi inacceptables pour le « Guide suprême » et son gouvernement. Comme le dit Abdollah Shahbazi : « les revendications a minima sont excessives pour ce régime ; prenons la presse libre comme exemple : les partisans d’Ahmadinejad ont montré à plusieurs reprises leur hostilité à la presse qui subit la surveillance et la censure la plus sévère depuis le début de la révolution […]. Selon le représentant du Guide dans les universités, 75% des étudiants sont en désaccord avec la politique d’Ahmadinejad ; donc si l'on considère qu'il y a 4 millions d'étudiants au total, on en conclut que 3 millions sont opposés au gouvernement. A mon avis, c'est le meilleur argument pour écouter ce que crie la jeunesse. »


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