Quatre scénarios pour l'avenir de l'Iran (1)

La prédiction est un art difficile, surtout en ce qui concerne l'Iran : les commentateurs se sont souvent systématiquement trompés, que ce soit en 1978-1979 ou en 2009. Cependant, cette impossibilité de saisir le futur du pays n'empêche pas d'essayer de lancer des pistes d'évolution possibles qui peuvent servir de cadre d'interprétation. Cet exercice a déjà été effectué par plusieurs chercheurs reconnus comme Michael Fischer sur le site Teheran Bureau, dans lequel il identifie quatre évolutions possibles : une théocratie absolue et militarisée, un Iran dirigé par un despote éclairé (type Ataturk ou Reza Khan), la victoire du mouvement vert soutenu par les pasdaran, ou l'émergence d'un gouvernement issu de l'opposition.

Ici, plutôt que de suivre la méthode de Fischer, on a identifié huit facteurs qui paraissent nécessaires pour comprendre l'évolution politique future: l'intensité de la division des élites, le rôle du clergé, celui des forces de sécurité, l'efficacité de la répression, le niveau de violence, l'attitude de l'opinion publique, celle de la communauté internationale, et enfin l'existence de leaders charismatiques. En évaluant chacun, nous avons élaboré quatre scénarios qui pourraient correspondre à l'avenir proche de l'Iran : le retour à la normale voit la défaite du mouvement vert ; la transition anarchique montre un Iran qui évolue comme la Roumanie après 1989, sans renouvellement clair des élites ; avec l'épisode bonapartiste, un nouveau Reza Khan, vraisemblablement issu des pasdaran, rétablirait la situation, avec ou sans le soutien du clergé ; et le succès du mouvement des droits civiques en Iran marquerait l'entrée du pays dans un système et une culture démocratique.

Cette semaine, nous vous proposons le détail du premier scénario, qu'en pensez-vous ?




Scénario 1 : "Retour à la normale"

Dans une première hypothèse, le mouvement populaire s'essouffle alors que les éléments les plus durs du régime reprennent la situation en main en accentuant la répression. Il s'agit d'un grand classique de l'histoire politique du monde moderne comme en témoignent l'écrasement de la révolte polonaise de 1830 par les Russes ou celui du printemps de Pékin en 1989 par exemple. En Iran et au Moyen-Orient en général, les gouvernements ont toujours réussi à se maintenir, sauf en 1979.

On suppose ici qu'après l'expression de divergences au sein des élites politiques, qui ont accompagné ou généré un large mouvement populaire, le pouvoir se ressoude et décide de lancer la contre-attaque. Les forces de sécurité jouent alors le rôle principal, les opposants sont systématiquement pourchassés, isolés de leurs soutiens dans l'opinion et éliminés (arrestations, exécutions etc.). En quelques semaines, l'opposition est non seulement décapitée, mais elle est privée de base puisque la population, horrifiée par la violence de la répression, rechigne de plus en plus à la soutenir. Si le clergé se pose en protecteur du peuple au début, il est vite réduit au silence (à travers des manœuvres d'intimidation et des arrestations) et ne joue pas de rôle important. Le pouvoir réaffirme son autorité pendant que la vie redevient normale pour une population plus désespérée que jamais. Dans ce scénario, l'implication de la communauté internationale est limitée, malgré les protestations diplomatiques.

"Do rooz-e dige tamam miché" (dans deux jours ça se sera fini) pouvait-on entendre de la bouche de certains officiels le lendemain des grandes manifestations après les élections. Six mois après, malgré la succession des arrestations, des morts, des procès et des confessions, l'atmosphère iranienne reste marquée par la contestation du pouvoir, l'opposition ne s'est pas tue et plusieurs manifestations sont prévues pour l'anniversaire de la révolution de 1979. Les chefs de l'opposition poursuivent leur action, et une partie de la classe politique s'est désolidarisée du gouvernement, ou, en tout cas, a adopté des positions ambiguës. Contrairement aux prévisions de l'état-major des pasdaran, du bureau du Guide ou du cabinet du président (ils pensaient à la reprise en main après les émeutes de 1999 ou de 2003), la contestation ne s'est pas arrêtée quand la répression s'est abattue avec brutalité et la crise politique s'est poursuivie. De plus, la contestation s'est répandue hors de la capitale comme à Chiraz ou Ispahan, elle a même touché des villes moyennes comme Hamedan, Kermanshah ou Najafabad qui sont pourtant vues comme les bastions du pouvoir. Ensuite, la communauté internationale a utilisé la question des droits de l'homme contre le régime, qui a déjà perdu sa légitimité religieuse.

Pourtant, si les faits récents semblent contredire ce scénario, on ne peut sous-estimer la capacité de survie du régime. Les forces de sécurité, en tout cas leurs cadres supérieurs, restent fidèles au gouvernement et sont décidées à poursuivre la répression, y compris en recourant au terrorisme (comme semblent le montrer les attaques contre Mehdi Karoubi ou l'assassinat du professeur Ali Mohammadi). La majorité des figures réformistes ont été arrêtées, soumises à de fortes pressions, torturées. L'ayatollah Montazeri, qui représentait le défi le plus important à l'autorité du Guide suprême est mort une semaine avant l'Ashoura. Des milliers de gens ont été arrêtés, en particulier les animateurs du mouvement à la base, dans les universités ou les quartiers. La répression pourrait avoir atteint son but, non pas immédiatement, mais six à huit mois après le début des manifestations.

Malgré sa faisabilité, ce scénario a perdu petit à petit de son actualité ces derniers mois. Le mouvement vert a désormais pris une telle ampleur, et a généré tant de divisions dans les élites que la perspective d'un retour à l'ordre s'est éloignée. Le spectre de la victoire de l'oppression est peut être plus loin que ce que nous croyons.


à suivre...

L'évolution de la crise iranienne depuis le 12 juin (3)

L’Achoura
"Le triomphe du sang sur l'épée", "A bas l'humiliation", "Raviver le Vrai", "la victoire de l'opprimé" : autant de slogans qui rappellent aujourd’hui la bataille de Karbala, bataille de l’armée du calife omeyyade Yazîd Ier contre l'armée des partisans de l'imam Hossein, petit-fils de Mahomet, réduits à 72 hommes et enfants et massacrés au cours de la bataille. Les musulmans chiites d'Iran commémorent depuis quelques centaines d’années, l'Achoura (dixième jour du mois sacré de Moharram et date anniversaire de cette bataille) marquant la fin tragique de l'imam Hossein. Cette histoire qui constitue un des mythes fondateurs du chiisme, est celle de  la lutte des opprimés contre leurs oppresseurs. C’est l’histoire d’un « non » sacré au tyran. C’est l’histoire des hommes qui « choisissent librement la mort face à ceux qui sont condamnés à vivre ». Ce qui est en jeu à Karbala, c'est le droit à la révolte contre l’injustice. Quel paysan iranien, quel ouvrier, quel étudiant ou petit commerçant de Téhéran  resterait insensible à cette rhétorique (que ce soit sous le Shah ou  sous le guide suprême)?

Neyestani

Ce mythe a beaucoup inspiré les luttes politiques en Iran dans les années 1960-1970. C'est non seulement le cas de penseurs comme Ali Shariati qui ont développé l’idée d’une théologie de l'émancipation mais aussi celui d'un certain nombre de militants de gauche, comme Khosrow Golsorkhi, poète et militant communiste, exécuté en 1974 et qui avait comparé avec une certaine éloquence lors de son procès, la lutte de la gauche iranienne avec celle de l'imam Hossein.



Les cérémonies de l’Achoura ont toujours échauffé les cortèges de manifestants au cours des transitions politiques importantes comme en 1978, 1981 et 1997. Ces manifestations religieuses peuvent potentiellement changer de nature et revêtir une dimension proprement politique. Le 26 décembre 1978, 45 jours avant la chute du Shah, à l’occasion de l’Achoura, près de deux millions de personnes s'étaient rassemblées à Téhéran pour réclamer l'abdication du Shah.



31 ans plus tard, les rues de Téhéran et d’autres villes du pays notamment à Ispahan, Najafabad, Arak (centre), Shiraz (sud), Babol (nord), Machhad (nord-est) et Tabriz, se sont transformées en scènes de massacre. Cette année, près de 2 millions de manifestants à Téhéran ont rejoué une version très proche du Tazieh (théâtre traditionnel iranien commémorant le martyre de l'Imam Hossein), le principal leader de l'opposition  étant comparé à la figure martyre du chiisme : « Ya Hossein, Mir Hossein » scandaient les manifestants. Ceux-ci le soutenaient en criant « Nous somme la troupe de Hossein, nous soutenons Mir Hossein ». Ali Khamenei de son côté a été comparé à Yazîd : « Khamenei est devenu Yazîd, Yazîd paraît innocent devant lui  ». La plupart des slogans visaient Khamenei « Autant de troupes se sont rassemblées, elle se sont rassemblées contre le guide  ». De la même façon que les contestations après l’élection de juin ont remis en question la légitimité des bureaux de vote dans le cadre de la « République » islamique, cet événement a sérieusement endommagé la légitimité religieuse de la République « islamique ». Les manifestants remettent en question la nature religieuse du régime en scandant des slogans comme : « Le viol dans les prisons, est-ce aussi écrit dans le Coran ».


                                 Téhéran-27 décembre 2009

Au moins 37 manifestants ont été tués selon l’agence de presse IRNA et 300 personnes ont été arrêtées. Contrairement aux manifestations hebdomadaires depuis le mois de Juin, de violents affrontements ont tourné à l'émeute entre opposants au gouvernement et forces de l'ordre. Il y a eu des scènes surprenantes montrant les agents anti-émeute débordés par des manifestants en colère, immobilisés contre un mur, des visages en sang, des barricades, des voitures et des motos des forces de l’ordre renversées et enflammées, des jets de pierre incessants, etc. Au lendemain de l’Achoura des leaders de l’opposition et des figures intellectuelles du mouvement ont mis en garde les opposants  face au piège tendu par le régime -celui de la violence-, tout en condamnant fermement les forces de l’ordre. Mais certaines images montrent des manifestants essayant de calmer d'autres manifestant et déclarant à leurs agresseurs qu'il les pardonnent ( en témoignent les scènes où l'on peut voir des manifestant s'interposant entre leurs camarades manifestants et les forces de l'ordre mises en difficulté). Ainsi, malgré quelques épisodes de violence qui  ne sont que des réponses à la barbarie des forces de sécurité, le mouvement vert est loin d'avoir perdu son caractère pacifique.

              Téhéran - 27 décembre 2009 (Tehranlive.org)

                     Les Sabines, Jacques-Louis David

 A suivre...

Revue De Presse du 19 janvier 2010

Identification et arrestations des participants aux manifestations de l'Ashoura

Selon un responsable de la police iranienne, plus de 40 personnes ont été identifiées et arrêtées depuis le jour de l'Ashoura. D'après Fars, le site d'information pro-gouvenrmental, plus de 40 manifestants ont été identifiés grâce à leurs images publiées sur les sites proches des Gardiens de la révolution (Sepah Pasdaran), en l'occurrence le site Gerdab.
Les sites du Sepah :

Dernier avertissement du Guide suprême

Lors d'une rencontre avec des responsables iraniens, l'ayatollah Ali Khamenei a conseillé aux personnalités de l'opposition, leaders réformateurs, de bien choisir "leur ligne et leur tendance politique". Selon lui, " il faut que ces personnalités politiques choisissent leur camp : celui de l'ennemi ou le nôtre, parce qu'ils font toujours partie de la République islamique mais il faut qu'ils évitent à tout prix d'être influencés par les ennemis de l'extérieur".



Valiollah Haji Gholizadeh

Valiollah Haji Gholizadeh, procureur général de la ville de Khoy (nord-oust de l'Iran), a été tué dans une attaque terroriste. D'après les observateurs, cet assassinat est lié aux récentes exécutions d'opposants kurdes purgeant leur peine. Deux kurdes ont récemment été pendus à Sanandaj. L'un d'entre eux avait été arrêté et jugé à Khoy. Valiollah Haji Gholizadeh était chargé des dossiers sensibles des opposants, notamment les membre du parti Pejak (branche iranienne du PKK).


Revue De Presse du 18 Janvier 2010

Saïd Mortazavi dénoncé pour son rôle dans les atrocités de la prison de "Kahrizak"
(Balatarin – 18/01/2010)



A la suite du rapport publié par le Majles à propos des crimes commis au centre de détention de Kahrizak, un certain nombre de parlementaires, d'associations  de défense des droits humains et des familles de prisonniers ou ayant perdu un parent dans la répression ont exigé la mise l'ouverture d'un procès pour  l'ex-procureur général du pays, Saïd Mortazavi. Le président du Parlement (Majles), Ali Larijani, a demandé à Mortazavi de s'expliquer. Ce dernier s'est dit innocent et a dénoncé dans une lettre le "faux rapport" du Majles. Cela a provoqué de nombreuses réactions qui "obligent le Guide suprême à se mêler de cette affaire" selon un observateur à Téhéran.

Annulation des Jeux de la solidarité islamique
(Ilna – 18/01/2010)

L'Iran ne pourra pas accueillir la deuxième compétition sportive des pays musulmans. Selon des observateurs, les dirigeants iraniens s'étaient engagés à ne plus employer le terme de "Golfe persique" au mois d'août dernier. Pourtant, l'évolution de la crise intérieure, la médiatisation de l'affaire et la pression de l'opinion publique a poussé les autorités iraniennes à rejeter cet accord. Les autorités iraniennes ont repris l'expression "Golfe persique" pour les médailles et les tee-shirts relatifs à l'événement. Suite à une réunion qui s'est tenue le 17 janvier 2010, les pays membres ont donc décidé d'annuler la compétition.
Selon des commentateurs, les organisateurs iraniens auraient tenter de profiter des fonds alloués à la manifestation sportive sans en assumer l'organisation.


Nucléaire: l'Iran juge "naturel" "l'échec" de la réunion du groupe des Six
(Reuters –17/1/2010)


L'Iran a jugé dimanche "naturel" "l'échec" de la réunion (samedi) du groupe des Six (États-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne, Allemagne) traitant du dossier nucléaire de l'Iran et au cours de laquelle les représentants n'ont pas pris de nouvelles sanctions contre Téhéran.


"L'échec de la réunion du groupe des Six est naturel (...) il faut que ce groupe reconnaisse le droit de l'Iran au nucléaire", a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ramin Mehmanparast, cité par l'agence officielle Irna.

Bombe à Mashhad
(Gooyanews – 18/01/2010)


Un homme s'est tué samedi soir à Mashhad, dans le nord-est de l'Iran, en déclenchant un engin explosif près du bureau du gouverneur de la province, selon l'agence de presse Fars. La bombe a explosé quand des gardes de sécurité postés près des locaux du gouverneur de la province de Khorasan-e-Razavi se sont approchés de l'homme en jugeant son comportement suspect. "La personne qui transportait l'engin a été grièvement blessée et transférée à l'hôpital. La police enquête", rapporte Fars ajoutant que l'homme a ensuite succombé à ses blessures. Cet incident est survenu quatre jours après la mort d'un universitaire à Téhéran dans un attentat à la moto piégée.


Lourde peine de prison pour un ancien député réformateur

(Norooz – 18/01/2010)

Un ancien parlementaire iranien a été condamné à six ans de prison  pour son "rôle dans les troubles" qui ont suivi les élections présidentielles contestées de juin dernier, a rapporté dimanche un site web de l'opposition. Le site Norooz a précisé que Mohsen Safai Farahani avait écopé d'une peine de prison en raison de son opposition à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad.


Mohsen Safai Farahani, âgé de 61 ans, figurait parmi la centaine de militants  politiques jugés depuis août dernier sous l'accusation d'avoir "fomenté l'agitation". Il avait occupé un siège (réformateur) au sixième Parlement  de 2000 à 2004 et avait dirigé la fédération iranienne de football de 1997 et 2005.


La justice iranienne a jusqu'à présent condamné cinq personnes à des peines de mort et a prononcé plus de 80 condamnations à des peines allant de six mois à 15 ans d'emprisonnement.


L'évolution de la crise iranienne depuis le 12 juin (2)

Enterrement de Montazeri
Depuis le 7 décembre, les protestations visaient moins Ahmadinejad que la théocratie. Le décès d’Ayatollah Montazeri a fortement remis en cause la légitimité religieuse du régime. Ces vingt dernières années, Montazeri avait critiqué le régime, en tant que grand ayatollah bénéficiant d'une légitimité importante auprès des chiites, d'un point de vue religieux et clérical . En raison de sa légitimité religieuse, il était  reconnu comme une des personnalités les plus aptes à critiquer Khamenei et son pouvoir.


Il était un des collaborateurs les plus proches de Khomeiny et un des fondateurs de la doctrine velayat-e-faqih [le gouvernement des doctes] qu’il a ensuite remis en cause. En 1988, sur le point de devenir guide suprême [il avait été désigné par l'assemblée des Experts pour succéder à Khomeyni], il est entré en disgrâce après avoir condamné le massacre massif des prisonniers politiques. En 1998, il a également remis en cause la capacité d'Ali Khamenei à assumer son rôle de Guide suprême, ce qui lui a valu d'être placé en résidence surveillée à Qom, entre 1998 et 2003. Montazeri était connu pour ses prises de position uniques dans le paysage politique et religieux iranien. Récemment, il s'était prononcé sur le sort des bahaïs [fidèles d'un mouvement dissident du chiisme, fortement réprimés en Iran] en déclarant qu'ils devaient être reconnus comme des citoyens comme les autres et bénéficier des mêmes droits. Ces derniers mois, ses  prises de positions avait largement influencé le mouvement vert, à tel point qu'Hossein Bashiriyeh, ancien professeur de la science politique de l’Université de Téhéran, le considèrait comme le leader spirituel du mouvement. Ses prises de positions illustrent son rôle dans les événements de ces 7 deniers mois :

4 juin 2009 :
L'ayatollah Montazeri, huit jours avant les élections présidentielles, condamne la fraude électorale dans la réponse à une question sur la fraude électorale, déclarant que celle-ci viole les droits individuels et qu'elle  est interdite (haram) par l’islam.

7 juin 2009 :
L'ayatollah Montazeri écrit que c’était au peuple lui-même de choisir son candidat et qu’il n’avait pas besoin de suivre une personnalité religieuse aux élections. Il a critiqué la manière dont « le conseil des Gardiens de la constitution » gérait les élections avec le filtrage des candidats. Il l'a qualifié  de partial et d' « insulte contre le peuple iranien ».

16 juin 2009 :
Au lendemain de la manifestation silencieuse des opposants au coup d'État électoral, l'ayatollah Montazeri a salué la participation des citoyens mais a dénoncé l’irrationalité des résultats. Pour lui : « le souverain qui vole le vote de son peuple, épuise les sources de sa légitimité politique et religieuse». Il a accusé le régime de détruire l’image de la religion en commettant les crimes au nom de l'islam. A la fin de ce message, il a invité les autorités iraniennes à annuler les résultats du scrutin et à cesser de recourir à la force contre les opposants.

10 juillet 2009 :
Suite à une attaque contre les chefs de l'opposition, il a condamné la violence et les insultes à l'encontre Mehdi Karoubi et Abbdollah Nouri (ancien ministre réformateur).

2 août 2009 :
En réponse à une lettre écrite par les chefs de l'opposition (Moussavi, Karoubi et Khatami) au gouvernement, Montazeri a comparé la situation actuelle avec les dernières années de l’époque du Shah. Il a aussi condamné la violence  qui s'était exercée contre les opposants, la torture dans les prisons, les arrestations, les procès injustes. Il les a jugés inefficaces  pour sauver le pouvoir.

4 août 2009 :
Dans un message adressé au peuple, il a dénoncé les aveux forcés qu'il jugeait mensongers, il a conseillé aux dirigeants du pays de ne pas suivre la voie de Saddam et Staline.

13 septembre 2009 :
Dans un message adressé aux Maraj’e taqlids (les grands ayatollahs), il leur a demandé de ne pas garder le silence face aux crimes commis au nom de la religion. En tant que défenseurs du principe du « Velayat-e-faqih », il se voyait déshonoré aux yeux du peuple.

17 octobre 2009 :
L'ayatollah Montazeri a réclamé l’interdiction de tout investissement, production et développement des applications militaires de l'énergie atomique dans le monde.

4 novembre 2009 :
Il a déclaré que l’exécution des mineurs n’était pas justifiée par l’islam.

1 décembre 2009 :
L'ayatollah Montazeri a dit que le mouvement vert représentait les revendications légitimes de la majorité et qu’il avait des succès indéniables au niveau national et international. D’après lui, grâce à ce mouvement, une culture de non-violence comme arme de combat s'est propagée dans la société. Il a rajouté que le mouvement vert avait révélé la nature violente des oppresseurs et que la politique de la peur n’avait plus d’effet. A la fin de ce message il a appelé le gouvernement à changer ses méthodes violentes et tyranniques à l'égard du peuple.

16 décembre 2009 :
Dans sa réponse aux questions posées par le site d’information « nazar-e-shoma », il a remis en question la légitimité du régime actuel, et a souligné que, pendant l’absence de l’Imam caché, la seule source de légitimité du régime était le vote de la majorité.

19 décembre 2009 :
Suite à la diffusion de la vidéo montrant la profanation de l’image de l'Ayatollah Khomeiny à la télévision d’Etat, Montazeri a jugé que ce geste était une provocation du régime pour lancer une nouvelle vague de répression. Il a ajouté dans son message que Khomeiny n’était pas un saint et qu'il avait aussi commis des erreurs au cours de sa vie.


Malgré la censure massive par les autorités iraniennes concernant la mort de Montazeri et et le message de condoléances mitigé d’Ali Khamenei, des centaines de milliers de personnes (entre cinq cent mille et un milion) se sont rassemblées le 21 décembre à Qom pour participer au cortège funèbre de l’ayatollah Hossein Ali Montazeri, en particulier les chefs de l'opposition. Plusieurs milliers de personnes ont aussi défilé dans la ville natale de Montazeri, Najafabad, près d'Ispahan, dans le centre de l'Iran, ainsi qu’à Téhéran et à Ispahan. La foule venue rendre hommage à Montazeri et surtout à sa résistance scandait « Montazeri , félicitations pour ta liberté ». Ou encore : « Montazeri innocent, nous suivrons ton chemin même si le dictateur fait pleuvoir des balles sur nos têtes ». Pour les autorités, le décès de Montazeri ne pouvait tomber plus mal, au début du mois sacré de Moharram. De plus, le septième jour de deuil de l'ayatollah [occasion de célébrations spécifiques chez les chiites] correspond à l'Achoura [commémoration du massacre de l'imam Hussein et grande journée de manifestations religieuses en Iran]. A cette occasion les manifestants scandaient : « ce mois c'est le mois du sang, Khamenei sera renversé ». La mort de Montazeri a sérieusement remis en question la légitimité des principes religieux du régime, comme le criaient les participants à ses funérailles en arrivant devant les images de Khomeini et de Khamenei :« Viol, crime, A bas le Velayat-e-Faqih »



A suivre...

L'évolution de la crise iranienne depuis le 12 juin (1)

L’introduction
Un rapport secret publié, avant la manifestation du 4 novembre 2009, par le quartier général des forces armées de la république islamique, reconnaît les fausses estimations des services secrets à l’égard du mouvement vert. Ce rapport diffusé par roozonline, met en doute l’efficacité de tactiques utilisées pour réprimer les contestations. Destiné aux dirigeants de haut niveau du pays, ce document explique comment «la divulgation des décisions confidentielles, la participation massive des opposants dans les cérémonies officielles, ainsi que l’inefficacité du blocage de la circulation des informations » ont empêché les autorités iraniennes de calmer la situation. A la fin de ce rapport, de nouvelles tactiques de répression sont proposées.


L’article présent vise à expliquer les tactiques de répression appliquées par les autorités iraniennes et les contre-tactiques des opposants pendant ces six derniers mois. Cet article s'appuie sur les informations publiées par les journaux iraniens ou français ou par les sites d'information, les vidéos et les photos diffusées sur l’internet, les témoignages des manifestants et les actions menées sur les réseaux sociaux virtuels comme Facebook et Twitter.
La fraude électorale/Où est mon vote
Tout a commencé par le mensonge. Pendant les débats présidentiels les candidats réformateurs, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, ont dénoncé les mensonges, le bilan économique et la politique populiste du président Ahmadinejad. Ils ont aussi mis en cause l'ingérence possible dans l'élection des Gardiens de la révolution et leur milice Bassidj, réputée avoir joué un rôle décisif dans l'élection de 2005. Durant la campagne électorale qui a animé les rues des grandes villes du pays, les partisans des candidats réformateurs portaient des pancartes sur lesquelles était écrit : "Interdiction de mensonge", ils scandaient aussi:"s’il y une fraude, ce sera la révolte"

    
Après des jours de grandes manifestations en faveur de candidat réformateur Moussavi, dont une chaîne humaine de 18 kilomètres de long à Téhéran, l’Iran a connu une participation record de 85% de la population au scrutin du 12 juin 2009. Le réseau de SMS avait été coupé dès vendredi matin, le jour de l’élection. Les forces anti-émeutes avaient aussi été placées dans les rues de Téhéran. Par ailleurs, les réseaux Youtube et Facebook ainsi que plusieurs sites internet, notamment Jomhouriat, Norouz, Emrouz, Entekab, Shahbnews et Aftabnews avaient été filtrés par les autorités. Le président de la commission électorale au ministre de l’intérieur, Kamran Daneshjou, annonce le résultat sans précédent du président sortant, Mahmoud Ahmadinejad qui aurait obtenu 63% des voix (soit 24 millions de votes). Tout cela a eu lieu deux heures seulement après la fermeture des bureaux de scrutin, alors que Moussavi de son côté revendiquait sa victoire d’après les informations venant des QGs de toutes les villes. Dès les premières heures, les 2 autres candidats ainsi que l'ancien président réformateur Mohammad Khatami ont jugé cette élection frauduleuse.

Quelques heures après l’annonce des résultats plusieurs personnes descendent dans la rue pour contester les résultats officiels. Le peuple contestataire met en question de nouveau l’attitude mensongère d'Ahmadinejad, ils scandent : "Menteur ! où est ton 63%"


C’est ainsi que la fraude électorale a déclenché un mouvement international : "Where is my vote ?"
  
 
 La répression violente après l’annonce des résultats/ la manifestation silencieuse
Le lendemain du scrutin, les protestations s'enchaînent dans les rues du capitale, les forces de l’ordre interviennent brutalement . Pourtant le guide suprême, Ali Khamenei, félicite Ahmadinejad pour sa réelection le lendemain après-midi en la qualifiant de "vraie fête", avant que l'élection soit confirmée officiellement par le conseil des gardiens.

En juillet 1999, la république islamique a connu une des crises les plus importantes de son existence. La révolte des étudiants défia sérieusement le pouvoir pendant 5 jours avant que les autorités contrôlent la situation. Les protestations ont été très durement réprimées par les Basidji et des militants du groupe Ansar al-Hezbollah. Plusieurs fanatiques et des officiers de police ont pourchassé les étudiants pour les tabasser jusque dans les dortoirs, entraînant des dégâts considérables. Pendant ces 5 jours, les forces de l’ordre ont appliqué toutes les formes de violence. Ils ont essayé de criminaliser et radicaliser au maximum les manifestations pour justifier ensuite la répression et susciter la désapprobation de l'opinion publique : les agents infiltrés détruisaient les bâtiments publics tout en scandant aussi des slogans radicaux. Ce mouvement n’a pas été suffisamment soutenu par les dirigeants réformateurs et n'a pas réussi à s'étendre au-delà des milieux étudiants. Les protestations donnant lieu aux nombreuses arrestations et violences, causant la mort d'un étudiant, ont été maîtrisées parfaitement par les autorités. A la fin, le régime s’était imposé en rassemblant des bassidjis et des radicaux pro-Khamenei qui célèbrent leur victoire dans les rues de Téhéran.

Le scénario du régime pour réprimer les protestations post-électorales ressemblait à celui de 1999. Les manifestants ont été violemment réprimés dans les rues, plusieurs responsables réformateurs, partisans de Mir Hossein Moussavi et Karoubi, ont été arrêtés et Ahmadinejad, lors de son discours de victoire, a qualifié les protestataires de "poussières".


Pourtant l’opposition a organisé une grande manifestation, le 15 juin, où Moussavi et Karoubi étaient présents. Cette manifestation ) interdite par les autorités, se déroulant en silence avec une participation massive d’environ 3 millions personnes, a rendu le régime incapable de criminaliser les manifestations.


La censure / le citoyen-reporter
La "victoire" du président sortant s’est accompagnée d’une censure massive à travers : la limitation de l’accès à l’internet ; la fermeture des journaux d'opposition ; le blocage du service sms et la perturbation du réseau de téléphone mobile les jours des manifestations ; les parasites sur les chaînes satellites ; l’arrestation des journalistes ; l’interdiction de travail et l’expulsion des journalistes étrangers.

Face à la propagande de la télévision d’Etat iranienne, les citoyens, à la fois manifestants et reporters, constituent un contrepoids indispensable à une lecture non biaisée de la situation iranienne actuelle. Les photos et les vidéos prises par les téléphones mobiles ou les caméras numériques et diffusées par Youtube ou par les réseaux sociaux virtuels comme Facebook prennent une place importante parmi les informations venant de l’Iran. La crise iranienne est le sujet qui a fait reconnaître Twitter mondialement. Le 21 juin 2009, 7 des 20 vidéos les plus vues sur la planète étaient consacrées aux événements post électoraux en Iran. C’est bien grâce à ces nouvelles technologies que des images comme celle de la mort en direct de Neda Aqa Soltan, devenue une véritable icône du mouvement vert, soient accessibles d’un simple clic. En contrepartie, les autorités iraniennes ne peuvent contrôler totalement cette fuite d’information vers l’occident, car couper l'internet reviendrait à dérégler la machine administrative complète. La vidéo suivante prise par un reporter citoyen montre comment les forces anti-émeute cassent les vitres d’une voiture garée alors que la télévision d’Etat accuse les manifestants d’endommager les voitures et les bâtiments publics.


L’islam contre l’islam
En Iran, la violence et la répression contre les opposants se fait au nom de la religion ou de la révolution. Dans l’acte d’accusation des prisonniers politiques, on les accuse d’être ennemis du Dieu ou bien ennemis de la révolution. En revanche, le peuple contestataire, musulman ou laïc, défend un islam tolérant contre un islam radical, celui de l’Etat. Dans leurs activités et leurs slogans, on remarque en quelque sorte, un retour aux sources de la révolution de 1979.

Le symbole vert
La couleur verte étant associée à l'islam, elle est devenue la couleur des partisans de Moussavi pendant la campagne présidentielle. Depuis le 12 juin, à défaut de pouvoir afficher une image, les Iraniens portent visiblement la couleur symbole, à la foi, de leur contestation et de leur espoir. Dans tout rassemblement, le vert domine largement : ruban au poignet, vernis à ongle, foulard, tee-shirt, chaussures, etc. En réponse la police tente, sans succès, de supprimer toute trace de vert dans l'espace public.


La prière du vendredi du 17 juillet
La prière du vendredi, en tant que pratique collective religieuse des musulmans, est considérée comme une cérémonie politico-religieuse pendant les 30 ans de la république islamique. Les Imams de cette prière sont choisis parmis les clercs de haut niveau, généralement proche du Guide suprême. Cette cérémonie est constituée de 2 parties: la prière et le prêche, à la foi religieux et politique. Cette cérémonie sert plutôt la propagande du régime. Même Ali Khamenei profite de cette tribune pour donner la ligne politique du pouvoir sur un évènement donné comme il l’a fait le 19 juin, une semaine après l’élection. Le public qui participe à la prière du vendredi à Téhéran et dans les grandes villes est principalement limité aux proches du gouvernement ou aux milices basidjis.

Cependant, la prière du vendredi du 17 juillet 2009, dirigée par l'ex-président Hachémi Rafsanjani a connu une participation massive. Hachémi Rafsanjani, un des piliers du régime et opposant à Ahmadinejad, a livré son analyse de la situation politique en Iran. C'était sa première intervention publique depuis l’élection.


Cette prière du vendredi où les leaders de l'opposition Mousavi et Karoubi  ont participé, s’est déroulée dans une ambiance différente des autres prières. Des milliers de personnes s'étaient réunies pour écouter le prêche de Rafsandjani à l’Université de Téhéran – la plupart portant des bandeaux ou bracelets verts. Des milliers de personnes s'étaient rassemblées autour de l’université alors que des centaines de milliers défilaient dans d’autres quartiers de Téhéran pendant le prêche.

Cette prière était la seule prière où on entendait des sifflets et des applaudissements. Ce jour-là, on a remarqué en quelque sorte une prière mixte autour de l’université de Téhéran. De nombreuses femmes avec de petits voiles sur leurs têtes, maquillées, aux côtés des hommes, rejoignaient la cérémonie de prière. Les participants à la prière scandaient des slogans en faveur de Moussavi et demandaient la libération des prisonniers politiques. Ils répondaient les slogans diffusés par la tribune officielle par leurs propres slogans : « mort à la Russie » en réponse au « mort aux Etas Unis » traditionnel.


Il est certain que la plupart des contestataires n’était pas venus pour soutenir Hachémi Rafsanjani dont le passé politique est très critiqué, la preuve est le slogan : « Hachémi ! tu es traitre, si tu te tais » crié par une partie de manifestants. Pourtant, cette prière était une autre occasion pour redescendre dans les rues et pour protester. La prière du 17 juillet a marqué un tournant dans l'histoire de la prière du Vendredi en Iran, comme sans doute dans une grande partie du monde musulman : pour la première fois, un événement symbolisant l'islam intolérant et réactionnaire se transformait en témoignage de la tolérance et de l'esprit démocratique de la population iranienne.

« Allah o Akbar »
« Allah Akbar [Dieu est grand]! Comment oublier ce cri modulé à l'infini depuis les toits et les terrasses de Téhéran, du nord au sud, jeté en défi au couvre-feu et à la loi martiale sur un simple mot d'ordre venu des mosquées?... A dix heures nous étions montés ensemble sur la terrasse. Le cri sacré avait commencé au loin, nous l'entendions à peine, puis un autre avait répondu, puis un autre et encore un autre. Bientôt la nuit ne fut plus qu'une immense chambre d'écho. » Raconte Marc Kravetz, dans ses reportages en Iran sur la révolution 1979 : Irano nox (Grasset, 1982). Il s’agissait en 1979 d’une pratique pour dénoncer le régime du Shah.

Peu après la révolution et la mainmise totale des fondamentaux sur le pouvoir, cette pratique a été transformée en un rituel officiel. Tous les ans, la radio et la télévision d’Etat appellent les Iraniens à scander « Allah Akbar » sur les toits, le soir de l’anniversaire de la révolution, le 11 février. Cet acte devenu un cliché, vidé du sens, n'est suivi que par une minorité de fidèles, est un instrument, bien inefficace, de la propagande officielle. La propagande du régime repose surtout sur le mythe de la révolution « islamique » et de ses valeurs. Les manuels scolaires traitent largement les sujets concernant les événements historiques, l'islam, la révolution de 1979 ou des personnalités religieuses. Pendant les journées commémoratives du Fajr (du 1er février, anniversaire du retour après 16 ans d'exil, de Khomeiny en 1979 au 12 février), les émissions de radio et de télévision sont principalement dédiées à la révolution. Mais les discours abondent dans le sens de l’idéologie officielle : les photos sont retouchées et les faits sont falsifiés, s’il est nécessaire. L'histoire est fréquemment réécrite, les évènements du passé modifiés de telle sorte que les actions des autorités du régime soient toujours décrites positivement.

Cependant, la nouvelle jeunesse iranienne « tend à s'écarter chaque jour davantage des normes édictées par le régime ». La propagande officielle à saturer la société de ses propres symboles n’ayant pas abouti, on peut considérer la société iranienne d’aujourd’hui comme une société postislamiste. Le régime se présente comme le défenseur des valeurs révolutionnaires alors qu’il est incapable de satisfaire des besoins de la société globale. Pourtant, depuis l’élection du 12 juin 2009, les tactiques d’une partie des manifestants s’inspirent de la révolution de 1979. Après 30 ans, on entend de nouveaux les cris de "Mort au dictateur" et "Allah Akbar" depuis les toits des maisons et chaque soir, on mesure la colère des contestataires par le pouvoir d’"Allah Akbar".


Depuis l’élection, la jeunesse iranienne s’appuie consciemment sur les valeurs démocratiques de la révolution 1979 et redonne du sens aux symboles de la révolution. Elle s’est ainsi approprié un outil majeur de propagande du régime pour le retourner contre lui et le discréditer.
A suivre......

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