L'évolution de la crise iranienne depuis le 12 juin (1)

L’introduction
Un rapport secret publié, avant la manifestation du 4 novembre 2009, par le quartier général des forces armées de la république islamique, reconnaît les fausses estimations des services secrets à l’égard du mouvement vert. Ce rapport diffusé par roozonline, met en doute l’efficacité de tactiques utilisées pour réprimer les contestations. Destiné aux dirigeants de haut niveau du pays, ce document explique comment «la divulgation des décisions confidentielles, la participation massive des opposants dans les cérémonies officielles, ainsi que l’inefficacité du blocage de la circulation des informations » ont empêché les autorités iraniennes de calmer la situation. A la fin de ce rapport, de nouvelles tactiques de répression sont proposées.


L’article présent vise à expliquer les tactiques de répression appliquées par les autorités iraniennes et les contre-tactiques des opposants pendant ces six derniers mois. Cet article s'appuie sur les informations publiées par les journaux iraniens ou français ou par les sites d'information, les vidéos et les photos diffusées sur l’internet, les témoignages des manifestants et les actions menées sur les réseaux sociaux virtuels comme Facebook et Twitter.
La fraude électorale/Où est mon vote
Tout a commencé par le mensonge. Pendant les débats présidentiels les candidats réformateurs, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, ont dénoncé les mensonges, le bilan économique et la politique populiste du président Ahmadinejad. Ils ont aussi mis en cause l'ingérence possible dans l'élection des Gardiens de la révolution et leur milice Bassidj, réputée avoir joué un rôle décisif dans l'élection de 2005. Durant la campagne électorale qui a animé les rues des grandes villes du pays, les partisans des candidats réformateurs portaient des pancartes sur lesquelles était écrit : "Interdiction de mensonge", ils scandaient aussi:"s’il y une fraude, ce sera la révolte"

    
Après des jours de grandes manifestations en faveur de candidat réformateur Moussavi, dont une chaîne humaine de 18 kilomètres de long à Téhéran, l’Iran a connu une participation record de 85% de la population au scrutin du 12 juin 2009. Le réseau de SMS avait été coupé dès vendredi matin, le jour de l’élection. Les forces anti-émeutes avaient aussi été placées dans les rues de Téhéran. Par ailleurs, les réseaux Youtube et Facebook ainsi que plusieurs sites internet, notamment Jomhouriat, Norouz, Emrouz, Entekab, Shahbnews et Aftabnews avaient été filtrés par les autorités. Le président de la commission électorale au ministre de l’intérieur, Kamran Daneshjou, annonce le résultat sans précédent du président sortant, Mahmoud Ahmadinejad qui aurait obtenu 63% des voix (soit 24 millions de votes). Tout cela a eu lieu deux heures seulement après la fermeture des bureaux de scrutin, alors que Moussavi de son côté revendiquait sa victoire d’après les informations venant des QGs de toutes les villes. Dès les premières heures, les 2 autres candidats ainsi que l'ancien président réformateur Mohammad Khatami ont jugé cette élection frauduleuse.

Quelques heures après l’annonce des résultats plusieurs personnes descendent dans la rue pour contester les résultats officiels. Le peuple contestataire met en question de nouveau l’attitude mensongère d'Ahmadinejad, ils scandent : "Menteur ! où est ton 63%"


C’est ainsi que la fraude électorale a déclenché un mouvement international : "Where is my vote ?"
  
 
 La répression violente après l’annonce des résultats/ la manifestation silencieuse
Le lendemain du scrutin, les protestations s'enchaînent dans les rues du capitale, les forces de l’ordre interviennent brutalement . Pourtant le guide suprême, Ali Khamenei, félicite Ahmadinejad pour sa réelection le lendemain après-midi en la qualifiant de "vraie fête", avant que l'élection soit confirmée officiellement par le conseil des gardiens.

En juillet 1999, la république islamique a connu une des crises les plus importantes de son existence. La révolte des étudiants défia sérieusement le pouvoir pendant 5 jours avant que les autorités contrôlent la situation. Les protestations ont été très durement réprimées par les Basidji et des militants du groupe Ansar al-Hezbollah. Plusieurs fanatiques et des officiers de police ont pourchassé les étudiants pour les tabasser jusque dans les dortoirs, entraînant des dégâts considérables. Pendant ces 5 jours, les forces de l’ordre ont appliqué toutes les formes de violence. Ils ont essayé de criminaliser et radicaliser au maximum les manifestations pour justifier ensuite la répression et susciter la désapprobation de l'opinion publique : les agents infiltrés détruisaient les bâtiments publics tout en scandant aussi des slogans radicaux. Ce mouvement n’a pas été suffisamment soutenu par les dirigeants réformateurs et n'a pas réussi à s'étendre au-delà des milieux étudiants. Les protestations donnant lieu aux nombreuses arrestations et violences, causant la mort d'un étudiant, ont été maîtrisées parfaitement par les autorités. A la fin, le régime s’était imposé en rassemblant des bassidjis et des radicaux pro-Khamenei qui célèbrent leur victoire dans les rues de Téhéran.

Le scénario du régime pour réprimer les protestations post-électorales ressemblait à celui de 1999. Les manifestants ont été violemment réprimés dans les rues, plusieurs responsables réformateurs, partisans de Mir Hossein Moussavi et Karoubi, ont été arrêtés et Ahmadinejad, lors de son discours de victoire, a qualifié les protestataires de "poussières".


Pourtant l’opposition a organisé une grande manifestation, le 15 juin, où Moussavi et Karoubi étaient présents. Cette manifestation ) interdite par les autorités, se déroulant en silence avec une participation massive d’environ 3 millions personnes, a rendu le régime incapable de criminaliser les manifestations.


La censure / le citoyen-reporter
La "victoire" du président sortant s’est accompagnée d’une censure massive à travers : la limitation de l’accès à l’internet ; la fermeture des journaux d'opposition ; le blocage du service sms et la perturbation du réseau de téléphone mobile les jours des manifestations ; les parasites sur les chaînes satellites ; l’arrestation des journalistes ; l’interdiction de travail et l’expulsion des journalistes étrangers.

Face à la propagande de la télévision d’Etat iranienne, les citoyens, à la fois manifestants et reporters, constituent un contrepoids indispensable à une lecture non biaisée de la situation iranienne actuelle. Les photos et les vidéos prises par les téléphones mobiles ou les caméras numériques et diffusées par Youtube ou par les réseaux sociaux virtuels comme Facebook prennent une place importante parmi les informations venant de l’Iran. La crise iranienne est le sujet qui a fait reconnaître Twitter mondialement. Le 21 juin 2009, 7 des 20 vidéos les plus vues sur la planète étaient consacrées aux événements post électoraux en Iran. C’est bien grâce à ces nouvelles technologies que des images comme celle de la mort en direct de Neda Aqa Soltan, devenue une véritable icône du mouvement vert, soient accessibles d’un simple clic. En contrepartie, les autorités iraniennes ne peuvent contrôler totalement cette fuite d’information vers l’occident, car couper l'internet reviendrait à dérégler la machine administrative complète. La vidéo suivante prise par un reporter citoyen montre comment les forces anti-émeute cassent les vitres d’une voiture garée alors que la télévision d’Etat accuse les manifestants d’endommager les voitures et les bâtiments publics.


L’islam contre l’islam
En Iran, la violence et la répression contre les opposants se fait au nom de la religion ou de la révolution. Dans l’acte d’accusation des prisonniers politiques, on les accuse d’être ennemis du Dieu ou bien ennemis de la révolution. En revanche, le peuple contestataire, musulman ou laïc, défend un islam tolérant contre un islam radical, celui de l’Etat. Dans leurs activités et leurs slogans, on remarque en quelque sorte, un retour aux sources de la révolution de 1979.

Le symbole vert
La couleur verte étant associée à l'islam, elle est devenue la couleur des partisans de Moussavi pendant la campagne présidentielle. Depuis le 12 juin, à défaut de pouvoir afficher une image, les Iraniens portent visiblement la couleur symbole, à la foi, de leur contestation et de leur espoir. Dans tout rassemblement, le vert domine largement : ruban au poignet, vernis à ongle, foulard, tee-shirt, chaussures, etc. En réponse la police tente, sans succès, de supprimer toute trace de vert dans l'espace public.


La prière du vendredi du 17 juillet
La prière du vendredi, en tant que pratique collective religieuse des musulmans, est considérée comme une cérémonie politico-religieuse pendant les 30 ans de la république islamique. Les Imams de cette prière sont choisis parmis les clercs de haut niveau, généralement proche du Guide suprême. Cette cérémonie est constituée de 2 parties: la prière et le prêche, à la foi religieux et politique. Cette cérémonie sert plutôt la propagande du régime. Même Ali Khamenei profite de cette tribune pour donner la ligne politique du pouvoir sur un évènement donné comme il l’a fait le 19 juin, une semaine après l’élection. Le public qui participe à la prière du vendredi à Téhéran et dans les grandes villes est principalement limité aux proches du gouvernement ou aux milices basidjis.

Cependant, la prière du vendredi du 17 juillet 2009, dirigée par l'ex-président Hachémi Rafsanjani a connu une participation massive. Hachémi Rafsanjani, un des piliers du régime et opposant à Ahmadinejad, a livré son analyse de la situation politique en Iran. C'était sa première intervention publique depuis l’élection.


Cette prière du vendredi où les leaders de l'opposition Mousavi et Karoubi  ont participé, s’est déroulée dans une ambiance différente des autres prières. Des milliers de personnes s'étaient réunies pour écouter le prêche de Rafsandjani à l’Université de Téhéran – la plupart portant des bandeaux ou bracelets verts. Des milliers de personnes s'étaient rassemblées autour de l’université alors que des centaines de milliers défilaient dans d’autres quartiers de Téhéran pendant le prêche.

Cette prière était la seule prière où on entendait des sifflets et des applaudissements. Ce jour-là, on a remarqué en quelque sorte une prière mixte autour de l’université de Téhéran. De nombreuses femmes avec de petits voiles sur leurs têtes, maquillées, aux côtés des hommes, rejoignaient la cérémonie de prière. Les participants à la prière scandaient des slogans en faveur de Moussavi et demandaient la libération des prisonniers politiques. Ils répondaient les slogans diffusés par la tribune officielle par leurs propres slogans : « mort à la Russie » en réponse au « mort aux Etas Unis » traditionnel.


Il est certain que la plupart des contestataires n’était pas venus pour soutenir Hachémi Rafsanjani dont le passé politique est très critiqué, la preuve est le slogan : « Hachémi ! tu es traitre, si tu te tais » crié par une partie de manifestants. Pourtant, cette prière était une autre occasion pour redescendre dans les rues et pour protester. La prière du 17 juillet a marqué un tournant dans l'histoire de la prière du Vendredi en Iran, comme sans doute dans une grande partie du monde musulman : pour la première fois, un événement symbolisant l'islam intolérant et réactionnaire se transformait en témoignage de la tolérance et de l'esprit démocratique de la population iranienne.

« Allah o Akbar »
« Allah Akbar [Dieu est grand]! Comment oublier ce cri modulé à l'infini depuis les toits et les terrasses de Téhéran, du nord au sud, jeté en défi au couvre-feu et à la loi martiale sur un simple mot d'ordre venu des mosquées?... A dix heures nous étions montés ensemble sur la terrasse. Le cri sacré avait commencé au loin, nous l'entendions à peine, puis un autre avait répondu, puis un autre et encore un autre. Bientôt la nuit ne fut plus qu'une immense chambre d'écho. » Raconte Marc Kravetz, dans ses reportages en Iran sur la révolution 1979 : Irano nox (Grasset, 1982). Il s’agissait en 1979 d’une pratique pour dénoncer le régime du Shah.

Peu après la révolution et la mainmise totale des fondamentaux sur le pouvoir, cette pratique a été transformée en un rituel officiel. Tous les ans, la radio et la télévision d’Etat appellent les Iraniens à scander « Allah Akbar » sur les toits, le soir de l’anniversaire de la révolution, le 11 février. Cet acte devenu un cliché, vidé du sens, n'est suivi que par une minorité de fidèles, est un instrument, bien inefficace, de la propagande officielle. La propagande du régime repose surtout sur le mythe de la révolution « islamique » et de ses valeurs. Les manuels scolaires traitent largement les sujets concernant les événements historiques, l'islam, la révolution de 1979 ou des personnalités religieuses. Pendant les journées commémoratives du Fajr (du 1er février, anniversaire du retour après 16 ans d'exil, de Khomeiny en 1979 au 12 février), les émissions de radio et de télévision sont principalement dédiées à la révolution. Mais les discours abondent dans le sens de l’idéologie officielle : les photos sont retouchées et les faits sont falsifiés, s’il est nécessaire. L'histoire est fréquemment réécrite, les évènements du passé modifiés de telle sorte que les actions des autorités du régime soient toujours décrites positivement.

Cependant, la nouvelle jeunesse iranienne « tend à s'écarter chaque jour davantage des normes édictées par le régime ». La propagande officielle à saturer la société de ses propres symboles n’ayant pas abouti, on peut considérer la société iranienne d’aujourd’hui comme une société postislamiste. Le régime se présente comme le défenseur des valeurs révolutionnaires alors qu’il est incapable de satisfaire des besoins de la société globale. Pourtant, depuis l’élection du 12 juin 2009, les tactiques d’une partie des manifestants s’inspirent de la révolution de 1979. Après 30 ans, on entend de nouveaux les cris de "Mort au dictateur" et "Allah Akbar" depuis les toits des maisons et chaque soir, on mesure la colère des contestataires par le pouvoir d’"Allah Akbar".


Depuis l’élection, la jeunesse iranienne s’appuie consciemment sur les valeurs démocratiques de la révolution 1979 et redonne du sens aux symboles de la révolution. Elle s’est ainsi approprié un outil majeur de propagande du régime pour le retourner contre lui et le discréditer.
A suivre......

1 Response to "L'évolution de la crise iranienne depuis le 12 juin (1)"

  1. Unknown says:

    Merci de partager vos recherches et réflexions avec nous. Ce document est d'un très grand intérêt et très informatif. Une très bonne lecture.

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