L'évolution de la crise iranienne depuis le 12 juin (2)

Enterrement de Montazeri
Depuis le 7 décembre, les protestations visaient moins Ahmadinejad que la théocratie. Le décès d’Ayatollah Montazeri a fortement remis en cause la légitimité religieuse du régime. Ces vingt dernières années, Montazeri avait critiqué le régime, en tant que grand ayatollah bénéficiant d'une légitimité importante auprès des chiites, d'un point de vue religieux et clérical . En raison de sa légitimité religieuse, il était  reconnu comme une des personnalités les plus aptes à critiquer Khamenei et son pouvoir.


Il était un des collaborateurs les plus proches de Khomeiny et un des fondateurs de la doctrine velayat-e-faqih [le gouvernement des doctes] qu’il a ensuite remis en cause. En 1988, sur le point de devenir guide suprême [il avait été désigné par l'assemblée des Experts pour succéder à Khomeyni], il est entré en disgrâce après avoir condamné le massacre massif des prisonniers politiques. En 1998, il a également remis en cause la capacité d'Ali Khamenei à assumer son rôle de Guide suprême, ce qui lui a valu d'être placé en résidence surveillée à Qom, entre 1998 et 2003. Montazeri était connu pour ses prises de position uniques dans le paysage politique et religieux iranien. Récemment, il s'était prononcé sur le sort des bahaïs [fidèles d'un mouvement dissident du chiisme, fortement réprimés en Iran] en déclarant qu'ils devaient être reconnus comme des citoyens comme les autres et bénéficier des mêmes droits. Ces derniers mois, ses  prises de positions avait largement influencé le mouvement vert, à tel point qu'Hossein Bashiriyeh, ancien professeur de la science politique de l’Université de Téhéran, le considèrait comme le leader spirituel du mouvement. Ses prises de positions illustrent son rôle dans les événements de ces 7 deniers mois :

4 juin 2009 :
L'ayatollah Montazeri, huit jours avant les élections présidentielles, condamne la fraude électorale dans la réponse à une question sur la fraude électorale, déclarant que celle-ci viole les droits individuels et qu'elle  est interdite (haram) par l’islam.

7 juin 2009 :
L'ayatollah Montazeri écrit que c’était au peuple lui-même de choisir son candidat et qu’il n’avait pas besoin de suivre une personnalité religieuse aux élections. Il a critiqué la manière dont « le conseil des Gardiens de la constitution » gérait les élections avec le filtrage des candidats. Il l'a qualifié  de partial et d' « insulte contre le peuple iranien ».

16 juin 2009 :
Au lendemain de la manifestation silencieuse des opposants au coup d'État électoral, l'ayatollah Montazeri a salué la participation des citoyens mais a dénoncé l’irrationalité des résultats. Pour lui : « le souverain qui vole le vote de son peuple, épuise les sources de sa légitimité politique et religieuse». Il a accusé le régime de détruire l’image de la religion en commettant les crimes au nom de l'islam. A la fin de ce message, il a invité les autorités iraniennes à annuler les résultats du scrutin et à cesser de recourir à la force contre les opposants.

10 juillet 2009 :
Suite à une attaque contre les chefs de l'opposition, il a condamné la violence et les insultes à l'encontre Mehdi Karoubi et Abbdollah Nouri (ancien ministre réformateur).

2 août 2009 :
En réponse à une lettre écrite par les chefs de l'opposition (Moussavi, Karoubi et Khatami) au gouvernement, Montazeri a comparé la situation actuelle avec les dernières années de l’époque du Shah. Il a aussi condamné la violence  qui s'était exercée contre les opposants, la torture dans les prisons, les arrestations, les procès injustes. Il les a jugés inefficaces  pour sauver le pouvoir.

4 août 2009 :
Dans un message adressé au peuple, il a dénoncé les aveux forcés qu'il jugeait mensongers, il a conseillé aux dirigeants du pays de ne pas suivre la voie de Saddam et Staline.

13 septembre 2009 :
Dans un message adressé aux Maraj’e taqlids (les grands ayatollahs), il leur a demandé de ne pas garder le silence face aux crimes commis au nom de la religion. En tant que défenseurs du principe du « Velayat-e-faqih », il se voyait déshonoré aux yeux du peuple.

17 octobre 2009 :
L'ayatollah Montazeri a réclamé l’interdiction de tout investissement, production et développement des applications militaires de l'énergie atomique dans le monde.

4 novembre 2009 :
Il a déclaré que l’exécution des mineurs n’était pas justifiée par l’islam.

1 décembre 2009 :
L'ayatollah Montazeri a dit que le mouvement vert représentait les revendications légitimes de la majorité et qu’il avait des succès indéniables au niveau national et international. D’après lui, grâce à ce mouvement, une culture de non-violence comme arme de combat s'est propagée dans la société. Il a rajouté que le mouvement vert avait révélé la nature violente des oppresseurs et que la politique de la peur n’avait plus d’effet. A la fin de ce message il a appelé le gouvernement à changer ses méthodes violentes et tyranniques à l'égard du peuple.

16 décembre 2009 :
Dans sa réponse aux questions posées par le site d’information « nazar-e-shoma », il a remis en question la légitimité du régime actuel, et a souligné que, pendant l’absence de l’Imam caché, la seule source de légitimité du régime était le vote de la majorité.

19 décembre 2009 :
Suite à la diffusion de la vidéo montrant la profanation de l’image de l'Ayatollah Khomeiny à la télévision d’Etat, Montazeri a jugé que ce geste était une provocation du régime pour lancer une nouvelle vague de répression. Il a ajouté dans son message que Khomeiny n’était pas un saint et qu'il avait aussi commis des erreurs au cours de sa vie.


Malgré la censure massive par les autorités iraniennes concernant la mort de Montazeri et et le message de condoléances mitigé d’Ali Khamenei, des centaines de milliers de personnes (entre cinq cent mille et un milion) se sont rassemblées le 21 décembre à Qom pour participer au cortège funèbre de l’ayatollah Hossein Ali Montazeri, en particulier les chefs de l'opposition. Plusieurs milliers de personnes ont aussi défilé dans la ville natale de Montazeri, Najafabad, près d'Ispahan, dans le centre de l'Iran, ainsi qu’à Téhéran et à Ispahan. La foule venue rendre hommage à Montazeri et surtout à sa résistance scandait « Montazeri , félicitations pour ta liberté ». Ou encore : « Montazeri innocent, nous suivrons ton chemin même si le dictateur fait pleuvoir des balles sur nos têtes ». Pour les autorités, le décès de Montazeri ne pouvait tomber plus mal, au début du mois sacré de Moharram. De plus, le septième jour de deuil de l'ayatollah [occasion de célébrations spécifiques chez les chiites] correspond à l'Achoura [commémoration du massacre de l'imam Hussein et grande journée de manifestations religieuses en Iran]. A cette occasion les manifestants scandaient : « ce mois c'est le mois du sang, Khamenei sera renversé ». La mort de Montazeri a sérieusement remis en question la légitimité des principes religieux du régime, comme le criaient les participants à ses funérailles en arrivant devant les images de Khomeini et de Khamenei :« Viol, crime, A bas le Velayat-e-Faqih »



A suivre...

1 Response to "L'évolution de la crise iranienne depuis le 12 juin (2)"

  1. Anonyme says:

    Chargée de cours, j'ai la chance d'avoir deux étudiantes iraniennes qui me renseignent sur ce qui se passe dans leur pays. Me permettant d'aller au delà des clichés et des a priori.
    C'est l'une d'elles qui m'a aiguillée sur cette info, et bien d'autres... J'admire le courage des manifestants, la voie de résistance pacifique qu'ils ont choisi, qui casse l'image simpliste que l'occident peut avoir sur les musulmans, comme l'existence de religieux contre le régime antidémocratique. Hélas le plus connu et respecté a disparu, mais j'espère qu'il avait des disciples pour reprendre son combat.

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