Quatre scénarios pour l'avenir de l'Iran (1)

La prédiction est un art difficile, surtout en ce qui concerne l'Iran : les commentateurs se sont souvent systématiquement trompés, que ce soit en 1978-1979 ou en 2009. Cependant, cette impossibilité de saisir le futur du pays n'empêche pas d'essayer de lancer des pistes d'évolution possibles qui peuvent servir de cadre d'interprétation. Cet exercice a déjà été effectué par plusieurs chercheurs reconnus comme Michael Fischer sur le site Teheran Bureau, dans lequel il identifie quatre évolutions possibles : une théocratie absolue et militarisée, un Iran dirigé par un despote éclairé (type Ataturk ou Reza Khan), la victoire du mouvement vert soutenu par les pasdaran, ou l'émergence d'un gouvernement issu de l'opposition.

Ici, plutôt que de suivre la méthode de Fischer, on a identifié huit facteurs qui paraissent nécessaires pour comprendre l'évolution politique future: l'intensité de la division des élites, le rôle du clergé, celui des forces de sécurité, l'efficacité de la répression, le niveau de violence, l'attitude de l'opinion publique, celle de la communauté internationale, et enfin l'existence de leaders charismatiques. En évaluant chacun, nous avons élaboré quatre scénarios qui pourraient correspondre à l'avenir proche de l'Iran : le retour à la normale voit la défaite du mouvement vert ; la transition anarchique montre un Iran qui évolue comme la Roumanie après 1989, sans renouvellement clair des élites ; avec l'épisode bonapartiste, un nouveau Reza Khan, vraisemblablement issu des pasdaran, rétablirait la situation, avec ou sans le soutien du clergé ; et le succès du mouvement des droits civiques en Iran marquerait l'entrée du pays dans un système et une culture démocratique.

Cette semaine, nous vous proposons le détail du premier scénario, qu'en pensez-vous ?




Scénario 1 : "Retour à la normale"

Dans une première hypothèse, le mouvement populaire s'essouffle alors que les éléments les plus durs du régime reprennent la situation en main en accentuant la répression. Il s'agit d'un grand classique de l'histoire politique du monde moderne comme en témoignent l'écrasement de la révolte polonaise de 1830 par les Russes ou celui du printemps de Pékin en 1989 par exemple. En Iran et au Moyen-Orient en général, les gouvernements ont toujours réussi à se maintenir, sauf en 1979.

On suppose ici qu'après l'expression de divergences au sein des élites politiques, qui ont accompagné ou généré un large mouvement populaire, le pouvoir se ressoude et décide de lancer la contre-attaque. Les forces de sécurité jouent alors le rôle principal, les opposants sont systématiquement pourchassés, isolés de leurs soutiens dans l'opinion et éliminés (arrestations, exécutions etc.). En quelques semaines, l'opposition est non seulement décapitée, mais elle est privée de base puisque la population, horrifiée par la violence de la répression, rechigne de plus en plus à la soutenir. Si le clergé se pose en protecteur du peuple au début, il est vite réduit au silence (à travers des manœuvres d'intimidation et des arrestations) et ne joue pas de rôle important. Le pouvoir réaffirme son autorité pendant que la vie redevient normale pour une population plus désespérée que jamais. Dans ce scénario, l'implication de la communauté internationale est limitée, malgré les protestations diplomatiques.

"Do rooz-e dige tamam miché" (dans deux jours ça se sera fini) pouvait-on entendre de la bouche de certains officiels le lendemain des grandes manifestations après les élections. Six mois après, malgré la succession des arrestations, des morts, des procès et des confessions, l'atmosphère iranienne reste marquée par la contestation du pouvoir, l'opposition ne s'est pas tue et plusieurs manifestations sont prévues pour l'anniversaire de la révolution de 1979. Les chefs de l'opposition poursuivent leur action, et une partie de la classe politique s'est désolidarisée du gouvernement, ou, en tout cas, a adopté des positions ambiguës. Contrairement aux prévisions de l'état-major des pasdaran, du bureau du Guide ou du cabinet du président (ils pensaient à la reprise en main après les émeutes de 1999 ou de 2003), la contestation ne s'est pas arrêtée quand la répression s'est abattue avec brutalité et la crise politique s'est poursuivie. De plus, la contestation s'est répandue hors de la capitale comme à Chiraz ou Ispahan, elle a même touché des villes moyennes comme Hamedan, Kermanshah ou Najafabad qui sont pourtant vues comme les bastions du pouvoir. Ensuite, la communauté internationale a utilisé la question des droits de l'homme contre le régime, qui a déjà perdu sa légitimité religieuse.

Pourtant, si les faits récents semblent contredire ce scénario, on ne peut sous-estimer la capacité de survie du régime. Les forces de sécurité, en tout cas leurs cadres supérieurs, restent fidèles au gouvernement et sont décidées à poursuivre la répression, y compris en recourant au terrorisme (comme semblent le montrer les attaques contre Mehdi Karoubi ou l'assassinat du professeur Ali Mohammadi). La majorité des figures réformistes ont été arrêtées, soumises à de fortes pressions, torturées. L'ayatollah Montazeri, qui représentait le défi le plus important à l'autorité du Guide suprême est mort une semaine avant l'Ashoura. Des milliers de gens ont été arrêtés, en particulier les animateurs du mouvement à la base, dans les universités ou les quartiers. La répression pourrait avoir atteint son but, non pas immédiatement, mais six à huit mois après le début des manifestations.

Malgré sa faisabilité, ce scénario a perdu petit à petit de son actualité ces derniers mois. Le mouvement vert a désormais pris une telle ampleur, et a généré tant de divisions dans les élites que la perspective d'un retour à l'ordre s'est éloignée. Le spectre de la victoire de l'oppression est peut être plus loin que ce que nous croyons.


à suivre...

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