Le dernier Communiqué de Mousavi : un pas en arrière, deux pas en avant

Le 12 juin 2009, le soir de l’élection présidentielle, à 23h:30 pile, Mir Hossein Mousavi, annonce sa victoire au cours d’une conférence de presse. C’est sa première déclaration officielle. Moins de deux heures après, sa victoire est rejetée. Aujourd’hui, le nombre de ses déclarations et communiqués s’élève à 17. Son dernier communiqué, tant attendu après les événements de l’Achoura, a aussi une toute autre dimension.

         Mir Hossein Mousavi

C’est plus qu’un simple communiqué : C’est la manifeste de ce « mouvement vert », dit un étudiant iranien militant du « mouvement vert » à Toronto. Les massacres et violences gouvernementales d’une part, l’évolution et la radicalisation des slogans et actions des protestataires d’autre part, ne laissent planer aucun doute : « le mouvement a atteint un point de non-retour à ce jour ». Ce sont les propos d’un bloggeur basé à Téhéran. Et il rajoute : « le pouvoir a perdu sa dernière arme, « la répression » pourtant « le massacre » et le désarroi avaient atteint leur comble ce jour-là (au premier degré).

Toutefois, les commentaires de tous bords ne visent pas seulement, cette fois, la « barbarie » du régime. Certains ont aussi condamné la « violence imposée » par une minorité des contestataires qui pousserait « un mouvement de nature pacifique à se radicaliser ». On comprend alors l’impatience avec laquelle était attendue le communiqué d’une des figures du réformisme, Mir Hossein Mousavi.

Ce contexte ne facilite pas la tâche de l’ancien premier Ministre de la République islamique qui a d’ailleurs perdu son neveu le jour de l’Achoura. Dans ce fameux communiqué, il condamne fortement la répression du régime, il prend partie pour les manifestants. Il se dit prêt à aller "jusqu'au martyre" pour faire entendre la cause du mouvement populaire. Il n’entend pas être un leader, mais un " accompagnateur " : " C'est vous qui m'avez donné la force, je ne fais que vous suivre." Pour arrêter le cycle contestation-répression qui entraîne une radicalisation dangereuse de part et d'autre, il propose le 1er janvier un plan de sortie de crise. Il lance une feuille de route pour « sauver un régime [qui] si les dirigeants ne changent pas leur politique va [s’effondrer] », mais aussi répondre aux attentes d’un peuple qui a perdu plusieurs « frères et sœurs » depuis le 12 juin 2009. Sa feuille de route se décline en cinq points :

- reconnaître la responsabilité du gouvernement par rapport aux événements postélectoraux auprès des grands instances du régime notamment celui de la justice;

- restaurer la loi constitutionnelle pour instaurer des élections libre et transparentes avec notamment le droit d’être candidat pour tous les citoyens iraniens dans un climat de confiance et de concurrence libre ;

- soutenir la création des médias […] indépendants et libres en restaurant leur dignité et leur honneur ;

- suspendre les restrictions qui touchent Internet ;

- et enfin reconnaitre les droits légitimes du peuple à manifester pour obtenir  ses droits.

Selon lui « d’autres suggestions pour les dispositions ci-dessus [pourraient] être ajoutées, en sachant qu’il n’est pas nécessaire de mettre en place et commencer avec toutes les vertèbres en même temps ».

Une fois le communiqué disponible sur le Net, les commentaires, réactions et critiques atteignent leur comble.D’un coté, les fondamentalistes du régime feignent de s’interroger sur l’attitude « inadmissible » de Mousavi qui « avec ce communiqué, a dépassé toutes les lignes rouges ». Ils souhaitent qu’il comparaisse devant la justice. Le lendemain de la publication de ce communiqué, les réactions ont été un tir de barrage contre Mousavi, orchestré, parfois au mot près, par les imams de la prière du vendredi. L’ayatollah Jannati, à Téhéran, accuse Mousavi d’être " un agent à la solde des Américains et des Israéliens ", alors que Mousavi dans son communiqué insiste sur le fait que « [il y a] au sein du mouvement, une identité islamique et nationale [qu’ils est] opposé à toute domination étrangère ". M. Jannati a également réclamé que les " émeutiers détenus soient maintenus en prison, car ils poursuivront leurs actions diaboliques aussitôt libérés ». Un autre religieux influent, Ahmad Khatami, fait reposer toute la responsabilité de cette crise sur le mouvement vert : " Vous parlez de crise dans le pays, mais il n'y en a pas ! C’est vous qui la créez ! ". La réaction le plus cinglante revient au conseiller d’Ahmadinejad, Ali Djavanfekr qui rejette en bloc toute piste de sortie de crise : « aucune solution, aucune discussion, aucune négociation » car selon lui, il y a en face des « agents étrangers ».

De l’autre côté, parmi ceux qui prennent fait et cause pour le mouvement populaire, militants, activistes, politiciens, membres des partis politiques réformateurs ou journalistes ne restent pas indifférents à ce communiqué. Trois grands partis réformateurs, Mosharekat, Mojahedin Enghelab Eslami et Majme Roohanioon ont soutenu fermement les axes abordés par l’ancien premier Ministre de Khomeiny. Toutefois ces commentaires n’ont pas eu les mêmes conséquences pour les opposants au gouvernement.

Certains estiment que Mousavi a formulé dans son communiqué des revendications a minima. Mais ce communiqué prend également la forme d’un ultimatum adressé au régime. Une seconde interprétation voit dans ce communiqué une stratégie qui a mis la balle dans le camp adverse et que les compromis ainsi envisageables ne sont pas « forcement un signe de faiblesse » de la part d’un politicien. Enfin, une troisième interprétation y voit un recul, voire « un signe de faiblesse » face au pouvoir en place et finalement les tenants de cette interprétation laissent entendre que Mousavi reconnaît le gouvernement d’Ahmadinejad. Selon certains comme Abdollah Shahbazi, ancien communiste rallié au régime dans les années 1980 : « Le gouvernement d’ Ahmadinejad est un fait qui existe, les gouvernements étrangers le reconnaissent également. Par ailleurs, Mir Hossein Mousavi n'accepte pas la légitimité de ce gouvernement, pourtant il formule ses demandes auprès de lui en sachant qu'aucune d'entre elles ne sera soulevée ni discutée. Mousavi est réaliste, il sait très bien que ses demandes minimales ne seront pas prises en compte par le pouvoir en place. »

Les solutions que propose Mousavi ont incité un certain nombre d’opposants à formuler leurs propres propositions pour sortir de la crise. C’est notamment le cas de cinq intellectuels religieux, Abdol Karim Soroush, Mohsen Kadivar, Ata'ollah Mohajerani, Akbar Ganji et Abodl Ali Bazargan (les membres d'un "gouvernement en exil" d'après certains) qui ont été les premiers à formuler leur point de vue. En suivant les mêmes points abordés par Mousavi mais en en les précisant et les clarifiant, ils ont essayé « d’améliorer le contenu » d’un texte rédigé selon Akbar Ganji « dans un climat de terreur, de censure…, alors que de leur côté, ces personnalités (résidant aux Etats-Unis), ne subissent pas la même pression et tension ». Dans un premier article ils demandent « la démission de M. Mahmoud Ahmadinejad » et en troisième ligne « à reconnaître le droit aux activités légales des partis politiques, des mouvements des femmes, des ONG et des organisations de la société civile, des syndicats indépendants et des salariés ». Ils avertissent le pouvoir en place qui selon eux ne dit pas rejeter les exigences « légitimes d’un peuple ». Le « Guide suprême et absolu » (Velayat motlagheh faghih) doit reconnaître sa part importante de responsabilité dans cette crise.

24 heures après la parution de cette lettre, un collectif de « 50 universitaires laïcs » iraniens ont de leur côté publié une lettre de soutien au communiqué de Mousavi qui selon eux, peut « unifier les Iraniens de tous bords autour de revendications communes » et « renforcera l’homogénéité et la cohérence » du peuple contre « ce régime totalitaire ». D’après ces « universitaires laïcs », le communiqué de Mousavi pose les bases d’une « plateforme politique a minima qui se construit par des revendications historiques d’une nation ».

Parmi les communiqués publiés à la suite de celui de Mousavi, il faut noter surtout celui du « mouvement des femmes » qui fait partie des rares déclarations qui non seulement ne s’enthousiasment pas du communiqué de Mousavi mais qui par ailleurs se sont fermement opposés à tous les communiqués publiés pour soutenir celui de l’ancien candidat aux élections.

Shadi Sadr, avocate, activiste et signataire de cette lettre reproche aux « autres communiqués [d’ignorer] les droits fondamentaux et structurels des femmes ». Ce communiqué a provoqué une polémique importante du fait de son contenu supposé « surréaliste et radical ». Selon ces militantes féministes, de tous les communiqués publiés depuis le début de la crise par Mousavi et Karoubi ou par leurs proches, aucun n’évoque les « droits fondamentaux des femmes », « opprimées par trente ans de République islamique ». D’après ces militantes plutôt que de discuter de « la légitimité du régime », il s’agit maintenant de s’occuper des problèmes fondamentaux et structurels liés aux « principes démocratiques de tous les citoyens ». Elles précisent qu’au cours des deux dernières semaines précédant les élections présidentielle, les deux candidats réformateurs ont beaucoup parlé des droits fondamentaux des femmes, mais depuis, la question n’a plus jamais été évoquée. Les auteurs de ce communiqué ont formulé leur revendications en 5 points, comme Mousavi dont :

- l'annulation de toutes les lois discriminatoires contre les femmes ;

- la séparation de la religion et du gouvernement ;

- le jugement de tous les dirigeants du régime ayant ont commis des crimes devant les juridictions internationales.

Mais ce communiqué a lui-même provoqué une polémique importante chez certains partisans du mouvement vert. Il a été jugé radical, surréaliste, prématuré par rapport à la situation. D’autres partisans y ont vu au contraire une bonne stratégie pour rassembler toutes les revendications populaires depuis la révolution et estiment que le mouvement démocratique est au contraire assez mûr pour élargir ses revendications par rapport au seul droit de vote qui l’avait déclenché en juin dernier.

                      Shadi Sadr


Des revendications a minima de Mousavi aux revendications " maximalistes " formulées par les militantes féministes, on voit bien que le communiqué de Mousavi a ouvert un débat où s’expriment toutes les voix opposées au régime en place. Réformateurs pragmatiques, réformateurs radicaux, gauche radicale en exil : tous proposent leur propre feuille de route. Mais que ces positions soient limitées à celles de Mousavi ou qu’elles soient plus larges et plus radicales, elles sont toutes aussi inacceptables pour le « Guide suprême » et son gouvernement. Comme le dit Abdollah Shahbazi : « les revendications a minima sont excessives pour ce régime ; prenons la presse libre comme exemple : les partisans d’Ahmadinejad ont montré à plusieurs reprises leur hostilité à la presse qui subit la surveillance et la censure la plus sévère depuis le début de la révolution […]. Selon le représentant du Guide dans les universités, 75% des étudiants sont en désaccord avec la politique d’Ahmadinejad ; donc si l'on considère qu'il y a 4 millions d'étudiants au total, on en conclut que 3 millions sont opposés au gouvernement. A mon avis, c'est le meilleur argument pour écouter ce que crie la jeunesse. »


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