L'appel de Mousavi avant 22 bahman

Le 11 février prochain (22 bahman dans le calendrier persan) aura lieu le trente et unième anniversaire de la victoire de la révolution islamique sur le régime du Shah, et comme chaque année, une grande manifestation populaire est prévue pour commémorer cet événement. Habituellement, l'avenue Azadi est abandonnée à la population : on s'y promène en famille ou entre amis, on y mange, on assiste aux petits spectacles donnés dans les stands officiels pendant qu'on entend, diffusé par les hauts parleurs, les discours nationalistes des plus hautes figures du régime.


Place Azadi, le 15 juin 2009

Depuis les élections du 12 juin, ce type de manifestation où le pouvoir exhibe sa bienveillance et son soutien populaire n'est plus possible : le 17 septembre (jour de la Palestine), le 4 novembre (anniversaire de la prise de l'ambassade des Etats-Unis), les 26 et 27 décembre (fêtes chiites de Tasua et Achoura) ont tous été marqués par une contestation sans précédent. Ebranlé dans sa légitimité, le pouvoir a réprimé systématiquement et violemment les manifestations alternatives largement plus importantes que les cortèges officiels. Cependant, malgré la violence de la répression d'Achoura (un des épisodes les plus sanglants de l'histoire post révolutionnaire de l'Iran), le pouvoir n'est toujours pas assuré, il craint la journée du 11 février. Le régime fait tout pour entretenir une ambiance de terreur : il multiplie les arrestations, exécute arbitrairement deux jeunes et, par la voix de clercs réactionnaires ou de brigadiers sinistres menace de mort les opposants.
Le 2 février, sur le site Kalemeh (proche des réformateurs), Mir Hossein Mousavi a répété son opposition avec le gouvernement en appelant à manifester le 22 bahman, un peu plus d'un mois après son communiqué n°17, qui avait déjà fait couler beaucoup d'encre.


Dans cette interview, Mousavi accuse la révolution d'avoir renoué avec le despotisme du Shah : "Dans les premières années de la révolution, le peuple était convaincu d'avoir détruit toutes les structures à travers lesquelles le despotisme et la dictature pouvaient s'imposer. Je faisais partie de ceux qui y croyaient, mais maintenant, non. (…) je ne pense pas que la révolution islamique a réalisé ses objectifs." Il décrit la situation actuelle de l'Iran dans des termes plus durs qu'auparavant en disant que "la dictature au nom de la religion est la pire de toutes". Il affirme ensuite avoir perdu toute confiance dans les institutions : "nous avons perdu tout espoir dans l'institution judiciaire. (…) Aujourd'hui les cellules sont occupées par les enfants les plus sincères et les plus attachés à la révolution : étudiants, professeurs, et autres. Ils essayent de les condamner pour espionnage ou pour des crimes financiers ou sexuels – charges qui sont basées sur des formules périmées – alors que les vrais criminels et les voleurs qui siphonnent l'argent public sont libres." Parallèlement, il dénonce la confiscation des pouvoirs du parlement par le gouvernement.


Mousavi combat les mensonges économiques d'Ahmadinejad : "Je ne pense pas qu'il faut choisir entre la justice et la liberté" (…) Aujourd'hui, ceux qui sont responsables de la misère du peuple et de l'arriération de la nation sont ceux qui sont responsables de l'inflation, du chômage et du déclin économique du pays. Ils amènent le pays à la limite de la ruine. (…)
Dans tous les cas, les classes défavorisées de la société qui sont attachées aux valeurs islamiques ont potentiellement les mêmes revendications que le mouvement vert."


Ensuite, il inscrit les revendications populaires dans le cadre de la constitution de 1979 qui a besoin avant tout d'être respectée : "Nous devons tous être vigilants. Violer les droits du peuple tels qu'ils sont donnés dans la constitution et dénier aux citoyens le droit d'être maîtres de leur propre destin mène au détournement de la constitution, cet héritage national sans prix." Mais, bien qu'il craigne une modification de la constitution, il n'en écarte pas la possibilité : "J'ai déjà dit que la constitution n'est pas quelque chose qui ne peut pas être changé. Cela a été fait en 1988 et cela peut être répété".


Enfin, Mir Hossein Mousavi appelle les Iraniens à manifester à l'occasion du 22 bahman, et en appelle à l'humanité commune qui unit les forces de sécurité et le peuple : "Les rassemblements et les manifestations pacifiques font partie des droits du peuple. (…) Mon conseil aux bassidj et aux forces de sécurité est d'être calmes et gentils. Mon conseil aux partisans du mouvement vert est de réduire leurs signes de reconnaissance, qu'ils s'en servent pour se détacher du lot beaucoup ou plus discrètement. Ce mouvement a grandi au sein du peuple et il lui appartient. Tous doivent garder à l'esprit leurs croyances, leurs valeurs et leurs traditions, mais nous ne devons pas oublier notre objectif final : un Iran développé, indépendant, libre et uni."


On peut tirer de cet interview trois enseignements majeurs :


D'abord, contrairement à ce qui avait été dit, Mousavi ne s'est pas incliné devant l'intransigeance du pouvoir actuel, incapable de négocier et enfermé dans une posture autoritaire et paranoïaque. Au contraire : il dénonce, avec plus de force encore que dans ses communiqués précédents la dérive dictatoriale du régime, la trahison des institutions et la montée de l'oppression. Pour autant, il n'abandonne pas la posture réformiste et s'inscrit au coeur de l'idéologie originelle de la république islamique. La dénonciation de l'oppression se fait au nom de la constitution, celle-là même qui défend le droit du peuple à manifester pacifiquement. Surtout, il reprend, au nom du mouvement vert, la question de la justice sociale, accaparée jusqu'à présent par Ahmadinejad. En liant la lutte pour la justice sociale avec celle pour la liberté, il donne au mouvement vert une ampleur nouvelle et inédite. Ce ne doit plus être qu'un mouvement des classes moyennes et éduquées, mais un rassemblement du peuple entier.

Pendant ce temps, Ahmadinejad essaye de reprendre la main avec un nouveau revirement dans les négociations nucléaires.

Il reste une semaine avant le 11 février.

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