L'évolution de la crise iranienne depuis le 12 juin (4 - dernière partie)

La politique de la peur/ La « peur de la peur »
«Je remercie le chef du pouvoir judiciaire d’avoir exécuté deux émeutiers et je lui demande d’en exécuter d’autres s’ils ne mettent pas fin à leurs protestations. […] Nous avons montré de la faiblesse depuis l’Achoura [la grande célébration du deuil chiite, qui avait été l’occasion d’importantes manifestations, ndlr]. Maintenant, il n’y a plus d’espace pour la tolérance.» a déclaré Ahmad Jannati à la prière du vendredi du 29 janvier à Téhéran. Le secrétaire du Conseil des Gardiens de la Constitution [la plus haute autorité législative du régime] faisait allusion à la pendaison de Mohammad Reza Ali Zammani et Aresh Rahmanipour,  accusés d’être «mohareb» (ennemis de Dieu) deux jours plus tôt.



 « Les autorités auraient également prévu d'exécuter prochainement par pendaison neuf nouvelles personnes impliquées dans les protestations du jour de l’Achoura, si leur condamnation à la peine de mort est confirmée en appel », selon l'agence semi-officielle iranienne Fars, qui cite le procureur de Téhéran. Depuis le 12 juin plus de 4000 manifestants et opposants, selon les chiffres officiels, ont été arrêtés pendant et après les grandes manifestations antigouvernementales. Celles-ci ont fait 109 morts selon l'opposition. Est-ce là la « tolérance » dont parle Ahmad Jannati ? 
 
Depuis 31 ans, le pouvoir iranien a bien suivi le conseil qui dit : « Maintenir les hommes dans la peur, c’est les maintenir sous un grand pouvoir ». Les autorités islamiques, depuis qu'elles ont accaparé le pouvoir, ont réussi à créer un climat de peur : exécutions massives d'opposants dans les années 1980, guerre prolongée contre l'Irak (1980-1988), emprisonnement et assassinat d'intellectuels, agitation continuelle de la menace d'une attaque étrangère… Avec la contestation de l'élection du 12 juin, le recours à la violence et à la répression a atteint un niveau jamais atteint depuis la fin de la décade révolutionnaire (1979-1989). La violence excessive est devenue, selon Hossein Bashiriyeh, la dernière raison d'être d'un régime qui a perdu toute légitimité – tant populaire que religieuse.

Pourtant, on peut s'interroger sur l'efficacité de cette politique. En effet, l'évolution des événements montre que cette peur, plutôt que de soumettre les gens et de rendre indifférente la population, a créé une sorte d’unité et de solidarité au sein de la société. Cela se reflète dans les slogans des manifestants ; « N’ayons pas peur, n’ayons pas peur, nous sommes tous ensemble »  crient les manifestants lorsqu’ils sont attaqué par les forces de l’ordre. Cette solidarité a aussi donné naissance  aux nouvelles associations telles que « Les mères en deuil » qui contestent le terrorisme d'Etat. L’usage excessif de la peur a également révélé la vraie nature du gouvernement. Moins un signe de force que de faiblesse, la violence d'Etat encourage l'opposition.

En mois de juillet, après la fermeture de la prison de Kahrizak le "Guantanamo" iranien, Mehdi Karoubi a donné des preuves des viols dans les prisons, provoquant un gigantesque scandale. Quelques jours plus tard, une vidéo largement diffusée sur Youtube, montre le témoignage d’une ancienne prisonnière politique exilée qui raconte comment elle avait été violée par son interrogateur il y a 30 ans. Quelques jours après, la vidéo d'Ebrahim Sharifi confirmait les accusations de Karoubi, dont il était un des témoins. Il avait enregistré cette vidéo par son téléphone portable avant qu’il s’échappe du pays. D'autres témoignages sont ensuite apparus.

 

Le fait que les tortures sexuelles sont systématiquement exercées par les autorités d’un régime qui se prétend le champion des valeurs religieuses, montre à quel point ces témoignages sont révélateurs. Sachant l’enjeu culturel et social en Iran, on comprend l’importance du témoignage de ces victimes. Ils brisent à la fois un tabou en racontant ce qu’ils ont subi et défient le pouvoir en montrant leur courage.


Depuis le mois d’août des procès spectacles sont organisés au tribunal révolutionnaire de Téhéran. La médiatisation et le déroulement de ces procès montrent l'inquiétante tendance du pouvoir à la dérive paranoïaque. Parmi les accusés apparaissent les figures importantes des réformateurs, des journalistes, des étrangers travaillant en Iran, des membres des ambassades des pays occidentaux, des intellectuels, des étudiants, des manifestants arrêtés de façon arbitraire. Ces procès visent à  discréditer les opposants au sein de la population et à affirmer le contrôle de l'Etat sur la société. Les accusations sont absurdes : « participation à un complot occidental », « planification d’une révolution de velours »,  « ennemi de Dieu », « casseur »... Les accusés, sans aucune garantie de droit à la défense, peuvent être jugés pour le simple fait d'avoir envoyé des photos ou des vidéos des manifestations par e-mail. Tous ces accusés encourent la prison ou la peine de mort. Les médias à la solde du gouvernement diffusent les aveux de certains prisonniers, pris sous la torture.

Cependant,  la population estime que ces méthodes et ces aveux forcés sont monnaie courante dans le cadre de la République Islamique qui les met en œuvre depuis trente et un ans. Elle ne prête aucun crédit à ces aveux forcés. L'ayatollah Montazeri, ainsi que beaucoup de personnalités politiques comme l’ancien président, Mohammad Khatami, ont dénoncé ces procès. Ils ont tous affirmé que ce qui s'est passé lors de ces  procès est contraire à la Constitution, à la loi et aux droits des citoyens. Ils ont déclaré que les aveux obtenus dans ces conditions n’avaient aucune valeur. Ces procès ont été suivis par un soutien massif des cyber-journalistes et  des artistes aux détenus. La compagne virtuelle « j’avoue aussi »  et la musique vidéo Eteraaf (Confession)  sont des exemples  de cette solidarité. Ce genre de mise en scène est contraire aux intérêts du régime et porte atteinte à la confiance de l’opinion publique, comme l'écrivait Edmund Burke : « Pour rendre une chose terrible, l’obscurité semble généralement nécessaire. Lorsque nous connaissons toute l’étendue d’un danger, lorsque nous pouvons y habituer nos yeux, une grande part de l’appréhension s’évanouit. »


                                          "J'avoue aussi"

Dans l'Iran d’aujourd’hui tout est devenu politique, les couleurs, les signes, les billets et avant tout le corps humain. Les opposants n’ont pas d'autre arme que leurs pieds et les autorités ne voient aucune solution sinon celle de s'en prendre directement à la vie. Les exécutions, en particulier politiques, se sont multipliées depuis les élections.


Les autorités ont lancé cette nouvelle phase le 11 novembre dernier avec l'exécution d'Ehsan Fattahian, un activiste Kurde, accusé à la lutte armée contre le régime, qui n’appartenait pas au mouvement vert, en espérant de diviser l’opposition. Mais cette exécution a sensibilisé la société sur la peine de mort. Les opposants, soit ceux qui veulent rester dans le cadre de la constitution de la république islamique, soit ceux qui mettent en question la totalité du régime sont devenus solidaires. Des milliers de photos de profil sur Facebook  ont repris le portrait d'Ehsan Fattahian : « Nous somme tous Ehsan ». Cette campagne a repris pour les deux autres opposants exécutés : Mohammad Reza Ali Zamani et Arash Rahmanipour.
        
« Depuis hier soir, ils attaquent les maisons. Ils ont arrêté quelques amis dont je ne veux pas dire leur nom pour l’instant. C’est clair qu’ils le font  pour nous faire peur. Le réseau internet est fortement perturbé et nous n’avons pas d’accès aux certains sites. Téhéran est sous une ambiance fortement policière. Il est bien probable qu’ils arrêtent plusieurs personnes parmi nous, avant le 22 Bahman [le 11 février, l’anniversaire de la révolution de 1979]. Je vous prie d’être vigilants plus que jamais. Beaucoup entre nous, ont désactivé leur compte sur Facebook et Balatarin ». Désormais, nous comptons plus sur nos amis à l’étranger. Informez par tous vos moyens. Il faut à tout prix briser l’atmosphère de peur que l’Etat essaie de créer.» nous a écrit un jeune iranien le 8 février. Depuis les manifestations d’Achoura, le régime a testé diverses tactiques pour calmer la situation. D’un côté il multiplie les arrestations, il intimide les leaders de l'opposition (avec des tirs contre la voiture de Mehdi Karoubi), il organise des manifestations officielles. Parallèlement, ils ont permis à certaines personnalités  de critiquer Ahmadinejad dans des débats télévisés, ils ont cherché à créer un compromis entre les leaders d’opposition et l’Etat, vite dénoncé. Ces dernières semaines, à l'approche de l'anniversaire de la révolution, qui peut se muer en une grande manifestation de l'opposition, la répression de l’Etat s’est durcie.

Que signifie le passage à la "tolérance zéro" dont parle Ahmad Jannati ? Est-ce que les menaces empêcheront les iraniens de descendre dans les rues, y aura-t-il un bain du sang  à Téhéran le 11 février ? L’hypothèse d’un Tiananmen iranien ne semble pas très probable. Selon la lettre ouverte adressée aux journalistes étrangers par des journalistes iraniens en exil l’Etat a prévu un autre scénario: « D'après les informations précises reçues d'Iran, le gouvernement illégitime d'Ahmadinejad veut faire croire qu'il a derrière lui la majorité de la population. D'une part, il veut essayer d'empêcher les opposants de se rassembler place Azadi, là où Ahmadinejad va tenir son discours, et d'autre part essayer de bourrer cette place de partisans "officiels" ».


Les liens économiques et diplomatiques du gouvernement avec certains pays étrangers d’une part et le soutien du clergé officiel pourraient disparaître après un massacre comme celui de 1989 en Chine. Pourtant, plus les manifestants de l’opposition sont nombreux, moins la répression sera efficace. Malgré la répression inédite de ces derniers jours, les leaders d’opposition Mousavi et Karoubi ont appelé leurs partisans à participer à l’anniversaire de la révolution. Un groupe des prisonniers politiques a envoyé un message de la prison au peuple en l’appelant à participer. A côté les cyber-journalistes ont déjà lancé plusieurs appels pour du type : « Je viens d’être libéré de la prison, il y a 2 heures, je descendrai quand-même dans la rue le 22 Bahman (le 11 février) » écrit le bloggeur Kaveh Ahangar. Il semble que certains jeunes iraniens ont peur plus du silence que de la mort. Prenant en compte le bagage que s’est préparé le mouvement iranien  dans sa lutte contre la politique de la peur, une participation massive des opposants n’est pas inimaginable. Cela pourrait éventuellement  changer les rapports de forces en faveur des opposants. Le 22 Bahman est sans doute un des jours les plus importants du mouvement, changera-t-il le cours de l'histoire ?

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