Après le 22 bahman, quel chemin vers Azadi*?

Immédiatement après le discours d’Ahmadinejad, les médias officiels ont crié leur victoire. Ali Khamenei qui, quelques jours  auparavant  avait défié les puissance occidentales en parlant de "La nation iranienne qui  par son unité  va infliger un camouflet", à son tour a salué "les dizaines de millions" d'Iraniens qui ont assisté à la grande manifestation de soutien au régime à l'occasion du 31e anniversaire de la Révolution islamique. Le 11 février, le pouvoir aurait remporté deux batailles, celle de la communication et celle de l’intimidation : beaucoup ne sont pas descendus dans la rue malgré des appels de l'opposition, beaucoup de verts, sur la place Azadi, n’ont pas pu s’exprimer au milieu des mercenaires et des bassij.

                               Place Azadi - Le 11 février 2010
                                 
L'opposition avait pourtant multiplié les initiatives : Mir Hossein Mousavi, un des leaders du mouvement lors d’une interview le 2 février avec le site Kalameh a appelé les Iraniens à manifester à l'occasion du 22 Bahman  et a conseillé ses partisans de « réduire leurs signes de reconnaissance, qu'ils s'en servent pour se détacher du lot beaucoup ou plus discrètement ». Deux jours avant la manifestation, il a réitéré son appel et a demandé à ses partisans de se rendre à cette cérémonie en gardant « leur propre personnalité ». Le 10 février Mehdi Karoubi un autre leader de l’opposition a lui aussi appelé les gens à le suivre et a indiqué qu’il serait présent à dix heures place Sadeghieh, à un kilomètre d'Azadi.

La victoire psychologique du régime sur l’opposition a provoquée une vague de critiques qui visent majoritairement l’organisation et les tactiques pour la manifestation du 22 Bahman. C'est cependant la décision de manifester sur le lieu même du rassemblement gouvernemental qui est la plus controversée : l'opposition espérait conjurer la présence massive de forces de l'ordre et des foules stipendiées par la tactique du cheval de Troie.


Ce plan, proposé par Ebrahim Nabavi, un écrivain vivant à Bruxelles et soutenu par Ata'ollah Mohajerani ancien ministre de la culture et de l'orientation islamique sous Khatami, a été diffusée par le site réformiste « Jaras »: les opposants devaient participer à la manifestation de commémoration de la révolution sans signe distinctif pour, une fois atteint le centre de la place, sortir leurs signes verts et scander leurs propres slogans tous ensemble.

C'est l'inverse qui s'est produit : « Moi et beaucoup d’autres étions présents sur place [à la place Azadi], nous nous étions habillés comme d’habitude, mais nous ne portions pas de signes du mouvement vert – des habits ou des tissus verts. En fait nous n’avons eu aucune occasion de le faire. Dès que quelqu’un faisait le moindre geste de contestation par exemple lever la main et faire le signe « V », la police l’attaquait et le frappait gravement.  Leur but était d’empêcher les manifestants de former tout cortège » témoigne Nima Namdari, journaliste, dans une interview avec Deutsche Welle.
Les critiques disent que : compte tenu de l’organisation du régime qui avait commencé depuis 1 mois pour bourrer la place Azadi de ses partisans y compris les pasdaran, les basidjis, les fonctionnaires étant obligés ou payés, le renforcement de poste de contrôle  entre la place Enghelab et la place Azadi. Dès mercredi soir, l’idée de se rendre à la place d’Azadi était déjà voué à l’échec ; Ce plan était un plan prématuré sans détails pratiques ni alternative ; comme témoigne Fatemeh,T, une féministe de la "campagne pour un million de signatures":
 
" Nous avons voulu rejoindre un groupe de partisans de Moussavi. Mais il y avait un milicien presque tous les dix mètres dans les avenues du centre. Des haut-parleurs balançaient des slogans officiels pour couvrir tout. Nous sommes partis en courant quand ils ont voulu nous charger. On dit que vers la place Sadeghieh, au nord-ouest, il y avait déjà des affrontements avec des partisans de Karoubi. "

 
                     Place Sadeghieh - Le 11 février 2010
 
De plus il n’y a aucun lien organique entre les gens qui proposent des tactiques depuis l’étranger et les manifestants ; la tactique du « cheval de Troie» ne suivait aucun but clair et déclaré alors que la mise en œuvre d’une stratégie nécessite une étude des possibilités, une organisation, une communication, un plan B et avant tout un objectif clair. Pourquoi fallait-il se réunir place Azadi ? et après ?
 
Certains accusent aussi le mythe de la journée décisive. Ils critiquent certaines figures de l'opposition en exil, comme Mohsen Sazegara, journaliste résidant aux Etats-Unis d'avoir suscité des attentes irréalistes autour de cette journée. Mohsen Sazegara, avait parlé de jeudi dernier comme une journée qui allait changer l'équilibre des pouvoirs et ouvrir la voie à une action «finale» contre le gouvernement, dans les commentaires qui ont été largement diffusées sur l'Internet.
 
Le 11 février met en évidence un défaut majeur de l’opposition : la capacité limitée de Moussavi et Karoubi à communiquer et à organiser la contestation alors que beaucoup de personnalités de premier plan sont en prison. Certains mettent en doute l’existence d’une stratégie claire chez les leaders de l’opposition et chez les réformistes. Ils pensent qu'ils sont indécis et qu'ils ne savent plus comment combattre sans mettre en cause certains principes de la république islamique. Mousavi et Karoubi ont cependant déclaré lors de leur dernier rendez-vous (le 17 février) qu’ils allaient annoncer une nouvelle stratégie dans les jours suivants.
 
En outre, malgré  la propagande - l’agence officielle Fars qui a annoncé une participation de 5 million de personnes à la manifestation de Téhéran et 50 million dans tout le pays-, la journée du 11 février n’a pas vu le triomphe du pouvoir. Selon les images satellites prises de la place Azadi, jeudi matin, la foule n'a pas dépassé trois cent mille personnes et les rangées de bus dans les rues adjacentes (environ 2500) montrent l'effort considérable du pouvoir pour assurer le spectacle de sa popularité.

                   Place Azadi - Le 11 février 2010 (google earth)

Les images parvenues de l’Iran montrent deux univers différents : sur la place Azadi, les gens piqueniquent et jouent au foot, totalement indifférents au discours d'Ahmadinejad ; à Sadeghieh, des milliers de manifestants crient sous les matraques et les gaz lacrymogènes : « Nous ne serons pas sacrifiés pour un compromis,  ni pour gratifier le guide assassin » et pour cause : les agences de presse étrangères ont été invitées à ne pas quitter la tribune officielle qui leur était réservée, place Azadi, devant Ahmadinejad.
 
Que retiendra-t-on de la manifestation du 11 février dernier ? les masses rassemblées place Azadi? le dispositif de sécurité impressionnant ? le passage à tabac des Karoubi ? la manifestation alternative à Sadeghieh ? Avec le recul, on se rend compte que, contrairement à ce qu'avaient annoncé les uns et les autres : "journée décisive" pour l'opposition, "point final de la contestation" pour le pouvoir, l'histoire ne s'est pas répétée. Le mythe de la révolution de 1979 ne s'est révélé être qu'un rêve : ni le pouvoir, obligé de monter de toutes pièces son "triomphe", ni l'opposition, qui n'a pas réussi à mobiliser ses partisans, ne l'ont emporté jeudi dernier. Le régime reste profondément divisé. Quant à l'opposition, elle doit se reprendre et aller au-delà de manifestations vers des formes plus efficaces d'action pacifique.
 
* Azadi veut dire la liberté en persan. La tour Azadi, symbole de Téhéran, est située sur la place du même nom.

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